Bashkirtseff

Mardi, 23 décembre 1873

OrigCZ

# Mardi, 23 décembre 1873

Je vais à la musique avec ma tante et papa (robe brune, pas mal). Je n'ai pas mis de corset pour voir, il n'y a aucune différence seulement c'est très incommode.

La comtesse et Mlle de Galve se promènent à pied, des robes divinement originales comme ma jaquette grise, jupe unie, tunique, jaquette deux rangs de boutons. Le même chapeau chez mademoiselle, gris.

Pourquoi n'ai-je pas eu l'idée d'avoir une pareille robe ! Que je suis bête ! Vraiment je suis très fâchée ! C'est si original, si particulier, si beau, à côté d'une robe comme ça, tout semble commun et ordinaire, une pareille robe se détache de mille. Oh triple bête que je suis !

Je croyais qu'elle est déjà mariée au prince. Je rentre mettre mon corset et prendre Hitchcock. Nous ressortons encore en voiture, je porte mon étoffe blanche chez Monier. Qui sait comment elle fera cette robe !

Non, mais ces robes des Galve ! Je leur ai donné l'idée par ma jaquette, j'avais l'idée moi-même.

Nous marchons sur le quai Masséna, moi et ma tante et nous rencontrons encore ces robes.

Ce soir je vais au théâtre, "Le legs", comédie en un acte de Marivaux et le ballet: "Lospecchio infernale". J'attendais avec impatience, il y a presque trois mois que je n'ai pas été au théâtre. Je mets la robe blanche, après mille failures une assez jolie coiffure, comme tous les jours avec la différence de cheveux derrière que je laissai tomber. En somme pas mal même bien, je suis assez contente. Nous ne sommes que trois et demie, moi, ma tante, Dina et Nadinka. Walitsky, Paul, nous attrapons un bout de Legs ennuyeux et long. Les Howard viennent à côté de nous, Hélène, Lise, père et mère. Elles sont gentilles, mais habillées comme à Nice. Les Galve sont au rez-de-chaussée comme toujours en noir et cols ouverts blancs, mousseline. La petite a coupé les cheveux devant, elle n'est plus aussi gentille.

La Gioia dans sa loge (avant-scène opposite the préfet) noire, décolleté carré à l'antique, on voyait presque tous les seins, sur la tête une forêt de violettes que j'ai prises pour un fichu écossais.

C'est vrai qu'elle a l'air misérable depuis qu'elle n'est pas assurée. Elle a beaucoup perdu, elle n'a plus l'air d'une reine. Le reste du théâtre excepté Mmes Prodgers, Vigier, Durand, Starzinska, Labanoff-Rostouzoff et encore quelques unes, est rempli de cocottes of every description.

Le parterre plein, le roi Lewin avec Jarozinsky, Gros et toute la compagnie et enfin Emile d'Audiffret-Latour. Ce jeune cochon n'est pas mauvais à Nice. Le petit Lambertye ne cesse pas de me regarder, ma tante ne l'a remarqué. Le comte Gabrielli a dit qu'il était un des dandy de Paris. Je plains Paris.

Diadia et M. Howard étaient venus chez nous, le jeune Striker aussi. Ils sont avec Miss Fish et une autre. Cette Fish est la belle des bals, des hôtels, une petite pas grand chose, dans le genre de Nathalie Galitzine mais en petit.

Venons au ballet. C'était une suite de quacks, de cracs, de manque d'effet, de failures. On a sifflé et crié, enfin à la fin on ne savait pas si c'est fini, on cria et siffla encore plus. Enfin nous sortons croyant être les derniers, mais tout le monde attendait leur voiture, il n'était que près de onze heures. Nous attendions aussi, et je ne sais d'où est venu Lambertye se poster pas loin de nous et regarder. Latour se promenait au milieu de la rue et regardait ceux qui partaient.

On nous procure une espèce de voiture. Striker, Fish et C° vont à pied.

Maman m'a fait faire, ou plutôt a dit à Paul de s'excuser. Je lui parlerai, mais toujours réservée pour ne point m'exposer à des impertinences.

(Maintenant bientôt, bientôt ils viendront. Après le 10 janvier. Oh ! terreur). Je me trouvais à mon aise, au théâtre; j'ai parlé avec les Howard. Mais grand Dieu que ferai-je si ils viennent, j'ai froid en y pensant seulement.