Lundi, 22 décembre 1873
# Lundi, 22 décembre 1873
Maman est malade et ma tante ne va pas, je voulais déjà pour me venger souffrir le martyre et me résigner à rester, mais Mlle Kolokolzoff vient, entraîne ma tante (robe bleue, chapeau noir, bien). Ce n'est pas que je serais chagrinée de manquer le Tir car le Tir n'a aucun attrait, mais j'aurais été enragée de ne pas y aller, lorsque Mlle Kolokolzoff a dit qu'il y a le Tir, je sortis avec précipitation, car mes yeux étaient pleins de larmes.
Je suis gaie, nous allons avec Mme Anitchkoff, le baron Bach, Paul, Walitsky mais Mlle Kolokolzoff s'est retirée chez les dames seules en voyant Mme Anitchkoff avec nous. Mme Anitchkoff m'a terriblement chiffonnée avec ses manières sauvages, je devais me recoiffer en wagon. Quelques instants, même une demi-heure se passe dans la salle, puis nous descendons. La journée à Nice était grise, presque pluvieuse, à Monaco très claire. L'aspect est raté, il n'y a que l'ex-compagne de Gioia que je nomme la folle, à cause de toutes sortes d'extravagances qu'elle fit un jour à la promenade, elle avait une jolie toilette et deux hommes. Puis une douzaine de tireurs misérables, pas même Lewin et deux dames italiennes laides et ignobles, l'une femme d'un malheureux tireur, l'autre gouvernante anglaise. Toutes deux et un petit horreur de garçon de sept ans profanaient cette langue. Pas un Anglais, pas un homme, rien ! Il y avait le vieux chien Galve et le petit laid Lambertye. J'ai rarement vu un petit homme plus laid que Lambertye sans chapeau, il est chauve et le crâne est en forme de clou.
Cette fois c'est purement le Tir, rien que le Tir qui m'amusait. C'est une bonne expérience, je sais maintenant que le Tir m'intéresse. Nous n'y restons qu'une heure pas même, le prix a été gagné par une espèce de vieille carcasse d'anguille desséchée en lunettes, et qui tirait son pull--- jusqu'à l'infini.
Dans la salle je prends Mme Anitchkoff et nous nous promenons. J'allais m'arranger en bas, dehors elle me dit:
Vraiment, c'est qu'Hamilton n'est pas là, il s'est marié.
- Qui est-ce Hamilton ?
- C'est celui dont vous étiez amoureuse.
- Que dites-vous encore, quel monstre etc. etc.
J'ai bien parlé.
Elle aussi ! d'où sait-elle ? Mais voilà qu'au moment où nous allions sortir du vestibule pour prendre le train, une voiture s'arrête, un panier, c'est elle. Je supplie ma tante d'attendre un moment; elle entre, nous sommes près du vestiaire. Elle est avec la Soubise, elle est en toilette feuilles mortes toute extraordinaire et nouvelle, les manches surtout. Cette année ses toilettes sont l'originalité même, un chapeau fille Angot de chez Thérèse et Mantel, en velours, cheveux rouges. Elle se conduit comme un homme ou comme un enfant, vive, avec aplomb, childish, comme le duc. Elle entra droit chez le commissaire et commença à dire quelque chose avec une impatiente et gracieuse vivacité d'enfant gâté. J'attendais toujours, le train n'attendait pas; enfin nous partons, mais à peine en bas elle y vient avec la Soubise, je crois qu'on l'a fichée à la porte. Toutes les têtes se tournèrent vers son côté et elle accosta Saint-Clair et Galve avec sa même manière particulière. Elle a les manières du duc. Mais je crois qu'on ne court pas après elle, d'ailleurs je n'en sais rien. Je m'imaginais que le duc de Hamilton était ruiné lorsqu'il était plus riche que jamais. Je le croyais ruiné parce qu'il n'a pas fait courir à Nice ! Misérable enfant ! Mais le Derby m'a éclairée.
Elle est belle mais peinte, si elle n'était pas peinte elle serait tout ce qu'il y a de mieux au monde. Elle est la perfection de tout, de toilettes surtout. Je ne puis rien dire de plus. Elle est parfaite.
Mais je tremble, j'ai peur de ces Tirs prochains, car je crois, on dit, qu'il viendra avec sa femme sans doute. Que c'est affreux ! Comme je serai honteuse devant tous ! Comme je serai malheureuse en moi. Alors le tir sera brillant, superbe. Mais assez, j'aurai à en parler assez, lorsque ce malheur arrivera. Les Anitchkoff voulurent m'entraîner chez eux, par miracle j'ai échappé. Maman est malade. Diadia vient le soir.
J'ai vu les colonnes près desquelles il était appuyé occupé à calculer je ne sais quoi, je me suis souvenue de lui. Mme Anitchkoff me parlait en descendant la montagne de lui, disant qu'on le nommait bœuf, qu'il est un garçon de boucher, qu'il est un gros moujik etc. etc. (mais sans s'adresser à moi, convenablement, la conversation était générale) ce que [je] partageais tout à fait, et je consens à toutes ses ressemblances, j'ajoute aussi du mien.
Oh ! canaille, attends. Un jour, un jour viendra où... assez. Je n'dis qu'ça.