Bashkirtseff

Vendredi, 19 décembre 1873

OrigCZ

# Vendredi, 19 décembre 1873

J'ai monté à cheval avec Dina et les Howard, avec les Howard par hasard; je ne veux plus monter avec eux, c'est gênant. Je fiche ma dictée anglaise pour voir maman et ma tante s'habiller, elles vont à un grand dîner chez Mme Howard. Hélène seule dînera, les autres enfants dans la petite chambre.

Les deux Striker dînent chez nous, et pour eux j'ai mis un fichu blanc et ma parure de feuilles de roses que j'ai achetée avant-hier. Ils sont charmants, seulement américains. Je n'aime pas beaucoup ces manières vulgaires et mon bête de frère leur a offert des cigarettes, de sorte qu'ils ont fumé, ce que je déteste dans un salon. Avec des intimes c'est autre chose, mais deux gros garçons, fi ! J'étais très aimable et aussi un peu américaine, nous avons un proverbe: Vivre avec les loups, c'est hurler avec les loups. que je n'approuve pas tout à fait. Le jeune Striker m'a fait des yeux doux, et j'avais tant envie de rire ! Ces petits garçons !

J'ai ri tout le temps, je suis plus changeante que le temps. Le matin, beau, l'après-midi tempête, le soir pluie et encore beau.

Solominka qui est tous les jours chez nous est très inconvenante avec M. Tormosoff, ils ne se gênent pas du tout. Striker m'a enseigné "Shoo ! fly, don't bother me " etc. Que les Américains sont vulgaires !

L'aîné Striker a des lèvres de rose, qui seraient mieux placées chez une femme, mais c'est un petiot tout de même. Pour moi on n'est pas homme parfait jusqu'à vingt-cinq ans; tous les hommes sont amusants et plus il y en a mieux ça vaut. Sans hommes, c'est la mort.

Quand je pense qu'il y a des gens heureux, je m'étonne; c'est si difficile et si facile d'être heureux. Je serais curieuse de la voir. Elle, cette femme fortunée qui est la femme de ce... enfin la duchesse de Hamilton, car elle est déjà duchesse de Hamilton, que je suis bête.