Mardi, 16 décembre 1873
# Mardi, 16 décembre 1873
Je n'eus pas "Le Galignani", et je ne sais rien, Mme de Pierlay est venue; je sors à pied (robe brune, bien) je ne suis plus raide comme autrefois, les cheveux aussi sont placés en un joli désordre. Je préfère passer par la ruelle et ensuite par le boulevard Dubouchage je crois, car Mme Pristitiff demeure là. Voilà déjà trois, qui de la promenade ont déménagé dans ce quartier de malheur, nous, les Mouchy et la dame qui rit. Aussitôt à l'avenue de la Gare j'aperçois Edy avec sa femme, merveille. Je m'arrête près d'un magasin pour qu'ils ne regardent pas mon dos pour les laisser passer en avant, comme ils passèrent je pus voir dans la fenêtre du magasin comme dans un miroir que Madame a percé ma robe des yeux. Mais s'arrêtent aussi pour que je les dépasse, alors je demande chez Thénard le prix des éventails, puis nous les suivions sans intention of course. Il y a musique militaire aujourd'hui, il fait bon, pas beaucoup de soleil, de cet astre qui donne la lumière et la vie. Hitchcock a besoin d'aller chez Visconti, près de là je vois mes chéris (Pristitiff), je ris de loin elle aussi, je les suis à l'écart, pour passer près d'eux j'entre chez Delbecchi et j'achète une plume en or avec laquelle j'écris.
Je la suivais comme un écolier. Dieu si j'étais homme ! Si étant femme pour une femme je fais des bêtises. J'aurais acheté une plume aussi bien qu'une paire de pantoufles, pourvu de la suivre, puisqu'elle était près de la fenêtre Delbecchi. Je la perds alors, mais dans un instant je la retrouve sur le pont, la chérie, mais ce serait trop bête d'aller derrière elle, alors je passe le quai des Phocéens et alors je la perds définitivement. Je suis contente d'avoir un but de promenade, bien simple, mais tout de même elle est charmante. Je vais aussitôt en voiture prendre Bête, nous, moi et elle allons au London House tandis que Dina, ah il faut que je dise, ce matin Khalkionoff est entré la première fois après sa maladie, pauvre garçon, et Dina est devenue si rouge qu'elle alla faire semblant de chercher quelque chose dans l'armoire, mais ça ne passait point, alors elle sortit doucement. Y a-t-il quelque chose ou rien ? En tous cas c'est très désagréable, alors disais-je, Dina et Hitchcock vont se promener pendant que nous sommes au London House. Ils ont des gâteaux comme personne. Je jouais du piano lorsqu'on vint dire que Mme Gaïewsky demande Bête. Mme Gaïewsky est une dame que maman a connu à Monte-Carlo et qui a fait une visite, je ne suis pas trop contente, il me semble qu'elle n'est pas trop... enfin voyons, je descends. On me présente, elle trouve que je ressemble à maman. Je vois tout de suite ce que c'est, c'est une Mme Beketoff, aussi simple, sympathique, libre, gracieuse, jolie, un peu boulotte mais jolie, elle me rappelle tout à fait la Beketoff, conclusion: elle est charmante. C'est une de ces femmes qui plaisent aux hommes et aux enfants comme moi. Lorsqu'elle s'éloigna je ne pus me retenir de dire: Quelle femme ravissante !, elle l'entendit parce qu'elle retourna pour dire je ne sais quoi. Nous nous vîmes dans la ruelle près du portail. Elle n'est pas poussiéreuse, mais élégante et gracieuse, comme Mme Beketoff, elle a quelque chose qui plaît, j'en suis presque enchantée.
[Annotation: 1875. Rien qu'une cocotte russe, cette Gaïewsky.]
Mais à dîner Hitchcock went mad. Elle s'attache à chaque mot, est en prétention de ne pas sortir avec maman, elle dit que toujours elle allait dans le monde avec la famille qu'elle partait. C'est trop fort, mais je me tus. Alors elle traita tout le monde de menteurs, que tout le monde ment etc. etc. et cela parce que Dina lui dit en passant que peut-être elle irait avec elle chez Mme Teplakoff qui invita Hitchcock chez elle pour dire quelque chose; alors j'ai dit que sans doute Dina n'ira pas, et Dina aussi a dit qu'elle n'ira pas, alors cette saleté a commencé à dire qu'on ment, que se sont des mensonges et toutes sortes d'impolitesses considérables. Alors très poliment je lui dis que ce qu'elle dit est considéré comme une grande grossièreté chez nous. Mais je crois vraiment qu'elle est une crétine et avec cela impertinente et méchante. Solominka qui est ici me demande ce que c'est car c'était déjà comme une sorte de dispute. Je commence à lui traduire lorsque la crétine me dit de parler français pour qu'elle puisse juger si je dis vrai, je fus extrêmement fâchée mais je n'en montrais rien et me contentais de lui dire que: I do not expect people to doubt what I say, that nobody doubts what I say, etc. etc. alors elle se corrigea, mais en général grossière et impertinente nec plus ultra et avec cela bête comme la bêtise. Elle finit par s'en aller me jetant la serviette dans l'assiette. Je serais furieuse si ce n'était une aussi misérable mean, méprisable créature. Je suis tranquille car je n'ai pas été impertinente, mais elle doit avoir quelque cause pour l'être à un tel point. Vraiment je ne m'attendais pas à tant d'audace. J'expliquais alors à haute voix pourquoi on me calomnie, je dis que je suis toujours fautive tandis que les innocentes brebis sont toujours de côté, comment... enfin j'ai tout dit. Je voudrais réconcilier Solominka et Bête. (En ce moment où j'écris, Dina m'apporte une parure rose de la part de la comtesse de Mouzay, qui est justement arrivée de Paris. Comme elle est gentille; c'est le souvenir et l'attention que j'apprécie.)
Bête va chez Mme Gaïewsky et Solominka à Millet.
Je suis préoccupée de toutes ces saletés et je ne souffre pas du tout, il me semble même que rien n'est arrivé; c'est comme lorsqu'une goutte de vin tombe dans de l'eau on voit l'eau s'obscurcir mais peu à peu on s'y habitue et on croit que c'est la véritable couleur, que c'est l'eau pure. La couleur a changé mais changé entièrement au point qu'on se demande si elle a jamais été autre. C'est comme moi, je suis triste et indifférente mais je ne souffre pas, il me semble même que c'était toujours ainsi. J'ai crains de me réveiller, car je suis trop tranquille.