Bashkirtseff

Mercredi, 3 décembre 1873

OrigCZ

# Mercredi, 3 décembre 1873

Dans sept jours.

Je suis presque malade, voilà deux jours que je ne mange presque rien. Il n'y a rien qui me rend méchante comme la faim. Je suis comme un lion sauvage et je pleure en même temps.

Dans le Galignani il y a encore un plaisir pour moi. Le prince et la princesse de Galles entertain a party of friends, parmi eux se trouvent les Manchester elle et lui.

Outre la douleur de perdre Hamilton je suis encore plus chagrinée maintenant de perdre le duc de la position qu'il me donnerait, le nom, la fortune; je serais reçue à la cour, je brillerais dans le monde... que dirais-je enfin !

J'aurais ce que je rêve, ce que j'adore, ce que je désire plus que tout au monde, pourquoi je prie Dieu tous les soirs, ce qui est fait pour moi et pourquoi je suis faite.

La vie, les plaisirs, les réceptions et le monde surtout, la cour encore plus, je serai connue. Oh ! mon Dieu pardonnez à ma vanité ! Je suis vaine, j'en conviens. Mais Dieu tout-puissant donnez-moi ce que je Vous supplie de me donner. Je ne vis que dans l'espoir de vivre plus tard. Je pleure, je me martyrise à chaque instant, à cause de notre manière de vivre, de notre position. Je suis une misérable créature, mais Seigneur ayez pitié de moi, ne me punissez pas ! Je promets de ne faire que du bien, d'être bonne, Mon Dieu pardonnez mes péchés et donnez-moi ce que je Vous demande à genoux ?

J'ai manqué ma leçon avec Hitchcock, à cause de ma faim; de ma misère. Je suis une malheureuse ! je voudrais crier, battre ! Je ne sais pas ce que j'ai. Je profite de tout pour pouvoir...

C'est surtout notre vie qui m'assassine.

Peut-on être aussi bête que moi ! Quel droit ai-je sur la personne du duc de Hamilton, pourquoi me suis-je imaginée qu'il doit être mon mari ? Pourquoi tous ces châteaux en l'air ? Lorsque je raisonne, je trouve que je suis bête, mais une douleur si vive, tranchante, amère me tue, me martyrise, s'empare de tout mon être. Quand je pense qu'il y a des gens qui ont tout ce que je veux. Elle, elle-même elle a... mais elle plus qu'une autre, plus que le monde entier puisqu'elle a aussi lui ce sanglier sauvage. Comme il est apprivoisé maintenant je suis sûre il danse, il ride, il... assez.

Je pleurniche toute la journée tantôt pour une chose, tantôt pour une autre, pour la faim le plus.

Enfin on me donne de la viande et on amène le cheval. C'est un autre groom qui m'accompagne. Je vais presque toujours à côté de la voiture et je parle avec eux, maman, ma tante et Dina. Walitsky et ma tante sont encore dans des tribulations à cause de ma personne, pourquoi je monte etc. etc. dans une demi-heure on me prie de retourner, mais je continue jusqu'au champ de course, je parcours le champ mais la tribune a disparu, je reconnus sa place par le petit pesage rustique qui est vis-à-vis d'elle. Et ce pesage je l'ai reconnu parce que le dernier jour il était près de ce pesage et longtemps je le suivais des yeux parmi la foule d'hommes, de jockeys etc. jusqu'à ce que j'eus mal aux yeux et sa tête se fut confondue avec le reste; je retourne aussi près de la voiture et je parle même gaiement : Ma tante (Mt.) c'est ainsi que je vais écrire ma tante ! se fâche, elle a peur pour moi. Il fait presque nuit et je rentre au clair de la lune.

Le groom me raconta l'histoire de mon cheval, du sien etc. etc. Il n'y a rien de plus amusant qu'un groom ou stable-boy.

Mt. et maman sont au désespoir sur mon compte, me voyant dans un pareil état. Mais j'appuie principalement sur la faim.

Je suis la plus misérable des créatures ! Avant j'attendais avec impatience le soir pour prier, pour penser, à présent si je me disperse par exemple - comme je voudrais que la promenade vienne plus vite - mais la promenade, pourquoi ? et après la promenade quoi ? un triste dîner, ensuite une ennuyeuse soirée et de difficiles leçons, puis enfin la prière mais pour quoi vais-je prier ? Et me coucher devient aussi un ennui pour des raisons à moi.

[Annotation: 1875. Parce que j'avais juré de ne plus penser à lui.]

Et ainsi je m'élance toujours en avant et ne trouve pas un point d'appui, je cours sans voir la fin de ma course, je désire le soir, quand il vient je veux la nuit, mais la nuit est encore le plus heureux moment, je dors, ensuite j'implore le matin puis l'après-midi et toujours ainsi d'heure en heure, de minute en minute je cours, je vole, je ne regarde rien à mon passage, je long after une chose qui n'existe pas, et je me trouve dans un vide sombre, affreux et sans fin.

Ils vont au théâtre, j'ai arrangé maman, comme elle est belle.

J'ai tantôt dit, pourquoi prier. Pardonne-moi ce mot irréfléchi Grand Dieu. Prier pour ma mère, pour tous, pour moi, le remercier de ses bienfaits, car ingrate créature que je suis ! Combien il y a des gens un million de fois plus malheureux que moi ! Que dis-je il y a des gens véritablement pauvres, malheureux, affamés, mendiants même et j'ose murmurer. Punissez-moi mon Dieu, non pardonnez, pardonnez, pardonnez au nom de Jésus Votre fils.