Jeudi, 4 décembre 1873
# Jeudi, 4 décembre 1873
Dans six jours.
A deux heures je ne suis pas encore prête et les Barter sont venus, puis Tibet, Allen, Ashton et encore je ne sais plus qui, puis les Howard, nous allons jouer au croquet, une partie joue au criquet, puis tous jouent au criquet, les deux Striker arrivent aussi en tout onze garçons, six filles. Tout un régiment.
Je dois confess que j'attendais ce jour avec impatience, tous les jours je me disais pourquoi jeudi est si lent à venir; mais enfin le voilà. Tout ces garçons sont amusants; Barter N° 1 est très aimable avec moi mais je ne le veux pas, je voudrais celui qui fait la cour à Lise, c'est Tibet, un garçon assez grand, seize à dix-huit ans, sérieux, tranquille, comme il faut. Il fait la cour à Lise et elle aussi, ils se sont parlé. Comme on est vilain de vouloir ce qu'ont les autres. C'est-à-dire que je suis un peu irritée qu'un saligaud comme ce Tibet ose ne pas se plier devant moi. A quatre heures et demie on rentre. J'ai joué le criquet et j'eus le temps d'en devenir folle.
Dans les chambres on reste libre, je ne veux pas faire comme les comtesses françaises du troisième étage qui forcent leurs malheureux invités à jouer, à chanter, à jouer aux petits jeux, toujours faire quelque chose. Chez moi, liberté et fraternité.
Je change la robe brune pour la bleue qui est détestable. Je fais l'aimable, on regarde les albums. Ouf !
Mais on ne s'ennuie pas, on rit, on court, on cause. Paul est un malheureux fou; il ne parle que de Mlle Petit, il passe son temps chez elle. C'est honteux, ignoble, sacrilège pour un enfant de quatorze ans. Il est comme fou, il ne finit pas les mots, il saute, il grimace, c'est honteux, rebutant !
Le dîner est servi. Nous sommes vingt et un à table. Je suis entre Hélène et Tibet qui est près de Lise. J'ai placé tout le monde. Il y a un feu d'artifice ensuite qui ne réussit pas à cause de ce Walitsky de malheur qui est toujours un empêchement avec ses dangers et ses frayeurs. Adam a abîmé quatre raquettes en une minute, il tenait tout cela sous le bras et je ne sais comment ça a pris feu et lui écorcha la main et le bras. Le pire c'est que le feu est manqué. On remonte, les Howard changent les robes, Mme Howard leur a apporté sachant qu'on dansera. Je ne suis pas mal même bien, même à côté d'Hélène, et si j'étais habillée...
Nous dansons beaucoup, puis on organise la danse bleue. J'étais tout le temps (lorsque j'étais assise entre les dames) éventée par mon danseur.
Un moment je me trouvais éventée par un, un autre était debout à côté et un troisième était derrière, Striker, Tibet et Barter 1. Comme c'est adorable d'être entourée, c'est au-dessus de tous les plaisirs du monde, et encore par des petits marmots ça n'est rien en comparaison. Les deux Striker sont charmants, l'aîné a seize ans pas même, ce sont des amis de Lancy, ils sont propres. Solominka et Tormosoff ont dîné et restent le soir. Je vois que la princesse a raison, c'est-à-dire que tout ce que la femme fait c'est pour l'homme, tout, tout, tout ! Est-ce qu'elle fera (la femme) toilette s'il n'y a pas d'homme, c'est-à-dire elle mettra une belle robe mais pour se regarder dans la glace, penser à soi, arranger les cheveux et puis une certaine manière qui... que c'est vrai. Le but de la femme c'est l'homme, pourvu qu'elle soit adorée, recherchée et entourée par eux, qu'importent les toilettes, et si on en fait c'est pour attirer les hommes, tout pour eux; ces animaux. Dans un bal on va pour un homme, aux courses pour un homme, au tir pour un homme, à la promenade, au théâtre, partout. Otez les hommes et rien n'amusera. Je juge d'après moi.
le temps d'adorer, Striker est un petit garçon charmant, propre, blanc, enfant, noble et Paul, noir; la figure tirée, hébétée, les manières vulgaires, pas de conversations; fi ! Quel être dégoûtant et malheureux, quel malheur d'avoir un tel frère et comme je le plains, ce n'est pas un enfant, c'est un vaurien ! C'est pitoyable ! A côté des autres c'est une saleté, bien que les autres ne soient pas du tout des diamants.
Je m'amuse, parce qu'il n'y a pas de raison pour s'ennuyer mais il y en avait pour s'amuser.
Au moment où je venais de valser et étais étourdie sur un fauteuil, Striker ou Barter je ne sais plus lequel m'éventait j'ai pensé que si le duc m'invitait à danser je ne pourrais pas danser, je n'aurais pas le courage de lui donner ma main et de soutenir son bras autour de ma taille. Je ne pourrais pas être près de lui, s'il y avait la danse bleue je n'aurais pas non plus la force de l'inviter, je tremblerais, je ne pourrais pas parler, je me trouverais mal. C'est affreux. Comme les hommes sont courageux, ils aiment, ils parlent, et ils disent qu'ils aiment ! Je lui ressemble, surtout à une heure de l'après-midi je me suis regardée et je trouve que je lui ressemble, quel bonheur, en me regardant je le vois plus distinctement, (pas pour me flatter, un laid peut ressembler à un beau). Mais il est très beau, il est poétique, adorable, noble, charmant. Il n'y a rien au monde comme lui, et il n'y aura rien de semblable. Si on faisait un homme sur mesure on ne pourrait pas mieux réussir. Il est tout ce qu'il y a de bien, de beau, de spirituel, de charmant, d'enchanteur, personne au monde ne peut et ne pourra lui être comparé.
A dix heures le bal finit. C'est très bien de connaître beaucoup de garçons car ça enseigne comme il faut tenir les hommes.
Diadia vient après dîner. Lorsque tout le monde était parti nous restons dans la chambre près du salon et diadia nous fait rire en représentant Dina comme elle a fait des yeux, et ajoutant:
- Mais lui, l'imbécile, n'a pas compris, un autre n'aurait pas mangé pendant trois jours, mais celui-ci maintenant se goinfre de poires.