Bashkirtseff

Mercredi 17 septembre 1873

OrigCZ

Mercredi 17 septembre 1873

Pauvre Walitsky est malade. A quatre heures, je veux sor­tir pour commander une livrée à Saïd, des bottes pour moi et je ne me souviens plus quoi encore. Chez Paol les modèles sont jolis, je crois que chez lui c'est bien. Demain il viendra, (robe écrue de Dina, bien), je vais ensuite à la promenade, il fait très frais, même froid un peu. Mais quelle riaille [sic] nous eûmes avec Bensa ! Ce pauvre homme est si drôle ! Dina et moi nous amusons à ne pas le comprendre ou bien lorsqu'il raconte des choses extraordinaires ne pas nous étonner ou encore nier ce qu'on a dit et prouver qu'il fait nuit à midi. Quelque temps il discute, mais enfin il commence à danser, secouer ses mains et ne pousse que des soupirs et des espèces de gémissements:

- Ah ! Mlle Dina ! ah ! Mlle Marie !

Je lui voulais prouver que la tète de Néron est plus belle que celle d'Apollon. En vérité je trouve Néron très bien, mais Apollon aussi; il a quelque chose du duc.

Maman ce matin a dit;

- Elle ressemble à Hamilton. Georges, elle ressemble à ce monstre Hamilton (Georges avait dit que je suis rousse), il est un monstre, mais elle lui ressemble

Elle a dit cela en riant, car Hamilton n'est pas un monstre et elle-même a dit un jour qu'il nous passa:

- Comme il est bien, il me plaît beaucoup, il est gentil.

Pour me taquiner c'est un monstre.

A dîner nous eûmes une discussion sur la beauté. Je disais que le baron Merck est beau, voilà un brun qui n'est pas dé­goûtant. J'ai apporté Néron et Apollon et j'ai dit que Apollon ressemblait à Merck. Certainement tous ces hommes-là sont beaux, Hamilton duc et lord, Merck et Boreel. Eh bien, Néron aussi me plaît. Dina est encore inspirée, mais il y a une raison, elle va monter à cheval.

A la promenade il commence à y avoir du monde, les mai­sons s'ouvrent, on commence à vivre. Le soir nous ne sortons pas. On a reçu ce matin les chapeaux, le mien n'est pas réussi mais pas mal, il va à maman, elle l'a pris, quel bonheur. J'attendrai celle qui m'a vendu mon chapeau de paille et je lui en achèterai un en feutre, voilà le deuxième qui ne réussit pas: "Frappez et on vous ouvrira". If at first you don't succeed, try, try, try again". Voilà mes mottoes. Je veux donc essayer la troisième fois à Nice. Mais il doit être si joli ce chapeau Je long de l'avoir. Tous à Monaco.

Le soir, moi, Dina, Bête, Paul allons chez Walitsky et jouons aux rois, avec grand bruit, grande gaieté. Arrive Khalkionoff, il ne joue pas, reste près de Walitsky mais il se mêle au jeu. Nous crions, nous rions, nous sifflons, nous jouons. Un jockey-club, comme dit Walitsky.

J'ai rêvé du duc cette nuit, nous voyagions ensemble tous, et Dina lui vola son mouchoir de poche en disant que Georges l'a prié d'en voler un pour modèle. J'étais très honteuse dans mon coin, de cette action de Dina, lorsqu'il se mit à chercher son mouchoir. Comme si tout le monde sait que je l'aime et on'se dit: Tiens, comme elle se contient, pas un mot de trop, une conversation très simple, comme avec tout le monde. Mais d'où ai-je pris qu'il peut m'aimer ?!!

Moi, misérable que je suis ! Fera-t-il attention à moi ? Qui lui dira combien je l'aime ?

Il est heureux comme il est, à quoi bon m'aimer. Ah il y a des moments où je désespère, c'est affreux ! Lorsqu'il me sem­ble qu'il ne m'aimera jamais II! Affreux, affreux, affreux ! Non la Vierge aura pitié de moi ! Dieu ne me punira pas ainsi !

Il viendra, alors, alors non, je mourrai !

Il y a des moments terribles > Je ne l'aurai jamais... ja­mais... jamais. Oh ! non, non, mon Dieu ayez pitié de moi, ne me déchirez pas. Miséricorde !

Je mets le bédouin blanc, je prends la guitare d'Antonio et je vais donner une sérénade aux joueurs car ils sont encore là. La guitare, c'est très beau, mais la harpe vaut mieux. J'adore ces instruments à cordes ! Je sérénadais [sic] sur le balcon du salon jaune. La nuit est fraîche, mes doigts commencent à de­venir raides, je me sauve.