Bashkirtseff

Mardi 16 septembre 1873

OrigCZ

Mardi 16 septembre 1873

L'heure du déjeuner est la seule libre, et c'est géné­ralement pendant ce temps que se passent tous les évé­nements, les conversations, etc. Il ne se passe plus un jour sans Hamilton, et je deviens rouge, mais je n'en ai plus peur, je me justifie en disant que je rougis pour tout. Maman me soutient. Qu'est-ce que vous la taquinez avec ce Hamilton, il a Gioia et des enfants, dit maman; alors Bête:

- Mais ces enfants ne sont pas à lui, à Simonoff.

Mais non à Hamilton, trois enfants, une maîtresse et un gros. Pourquoi dire des bêtises. A table encore, Walitsky a commencé en disant que le domestique de Hamilton est arrivé, puis il improvisa de sublimes vers sur le duc.

Maman est si gentille aujourd'hui, je finirai vraiment par devenir son amie. Elle causait, riait, racontant des histoires lorsqu'elle avait seize ans, récitait des poésies en riant. Elle ne se fâche plus pour Hamilton, elle regarde cela avec gaieté, en plaisantant, et très rarement plaisante elle-même. Pour la plupart, elle a l'air de dire en riant: Regarde une pareille gamine, qu'est-ce qu'elle a inventé !

Je demandais à papa de l'argent pour rire of course.

- Vous devez m'en donner, tous les jours, je fais votre thé. Alors Walitsky :

- C'est toi qui m'a donné du thé ce matin, eh ! bien je te donnerai cinq sous. D'ailleurs, il y a rien d'étonnant, à Monaco, Hamilton m'a donné du feu et m'a demandé un franc.

Tout cela d'une voix la plus sérieuse du monde, et à chaque minute une bêtise de ce genre qui fait rire tout le monde. Il dit souvent des saletés et alors je n'aime pas. Plaisanter mais proprement.

Maman a lu un extrait de "Onéguine": Onéguine pâlit, dé­périt, et devient presque phtisique ou quelque chose dans ce genre, alors Bête:

- *Hamilton pâlit, dépérit !

- Eh bien, celui-là ne pâlira pas dit maman d'un ton comme si elle le lui reprochait. Oui il grossit tout le temps, oui il grossit*.

- Juste pour vous, ajoutais-je.

On parle de lui et je suis heureuse. Rien de meilleur au monde que de parler de lui. Je l'aime, je l'aime ! Et mille fois plus parce que maman n'aime pas cela et qu'elle regarde cet accident comme les bêtises de Boreel, cette dernière chose me blesse. Comment ose-t-on comparer ? Ils ne savent pas et tant mieux. lls le considèrent comme un original, comme un brave garçon, maman dit même un fantasque, un original, un fou, un type bizarre, etc. et cela me plaît, m'enchante. C'est ce que j'aime, ce que je veux. Et je ne puis entendre rien d'autre.

Nous sommes au jardin, Khalkionoff aussi. Moi, papa et Bête allons faire une promenade, à la promenade, papa demande où est villa Gioia (toutes les fois il veut avoir un petit de son renard). Nous prenons du chocolat au London House, il y vient quelques hippopotames enfin je vois sortir quelqu'un, c'est Hasford. Il s'arrête et cause avec moi quelques minutes. Com­me il faut et aimable. Notre conversation était très nouvelle, sur le climat de Nice et les saisons exceptionnelles.

Il fait très frais.

Ah ! mon Dieu quand donc viendra l'hiver !!!! ((((Il viendra)))) je verrai... je ne puis parler de lui ou j'écrirai jusqu'à minuit.

Il est ma vie, mon âme, son nom a un effet magique, il me réveille, m'excite, m'enchante, me rend vive et gaie. Oh ! s'il savait comme je l'aime, je ne suis plus une enfant, je sais ce que j'aime.

Je ne moquerai pas de moi-même dans cent ans, parce que j'ai raisonné et je sais ce que je sens. Je fai trouvé dans mon fond !...