Samedi 13 septembre 1873
Samedi 13 septembre 1873
Encore aujourd'hui du bon travail, Manotte est venu et m'a fait perdre une heure. Le travail fatigue un peu, mais... bah !
Dominique vient avec son landau, j'en suis bien aise, voilà deux mois que nous trébuchons dans ces vilaines calèches. Maman est toujours malade.
Ce soir ouverture du Théâtre Français: "Le changement de mains", "Les jocrisses de l'amour". Nous allons (c'est samedi), je mets ma robe grise en toile, elle est chiffonnée, mais c'est celle que j'aime le mieux. Je descends et maman me dit de changer de robe, que celle-là n'est pas bien. Bête que je suis ! je change pour une robe blanche. Cette robe brodée que je déteste, que je ne puis supporter. Elle est de travers, le dos bossu, affreuse, affreuse, affreuse ! La broderie est jolie, mais la façon !!! Toutes les fois que j'ai le malheur de la mettre, je suis une malheureuse. Au théâtre, je me suis baissée derrière le fauteuil, j'ai ôté le corsage, j'ai fait un pli dans le dos, de côté, je ne pouvais plus y tenir, je sentais un quelque chose de tordu dans le dos. Le théâtre est plein de Niçois. La préfète est vis-à-vis nous. Nous avons la loge de M. Lewin, mais à droite.
"Le changement" est une pièce sur l'impératrice Elisabeth, le duc de Courlande. Le duc est prisonnier et Elisabeth vient dans sa prison pour savoir ses intentions. Au lieu du duc elle parle avec un lieutenant qui, sans savoir à qui, donna l'occasion de fuir au duc (que lui avait procuré la fille du major, garde de la forteresse, pour l'éviter, car elle croyait de l'aimer, devant épouser un cousin). Pour ne pas perdre le major, qui répondait du prisonnier, le lieutenant le voulut remplacer jusqu'à ce qu'on le trouve. Il ne savait d'abord pas que c'était Elisabeth qui venait lui parler. Il lui fait la cour, et elle est charmée de lui, le fait conduire au palais qui lui servira de prison. Le lieutenant était lui-même enfermé dans la forteresse pour avoir fait la cour à la comtesse Chouvaloff. Le comte furieux le mit en prison.
Au palais, le quasi-duc fait une déclaration à Elisabeth, lui baise même l'épaule pour se faire renvoyer et reprendre sa forme primitive. Mais, bien au contraire, Elisabeth est charmée et elle lui donne sa complète liberté, elle pense même l'épouser. Chouvaloff lui apporte un rapport. Avant cela elle a prié le duc de lui demander une grâce, une faveur.
Celui-ci demande celle du lieutenant Boumanovsky (la sienne) qui fut accordée. La scène est fort belle lorsque le comte, l'impératrice et le lieutenant sont trois. Elisabeth demande au comte l'histoire de ce lieutenant, par sa figure elle devine que lui est ce mari et lui fait dire tout. Le duc raconte toute l'aventure, puisque c'était lui. Elisabeth est very much amused. Mais le comte lui lit le rapport où est dit que le duc est avec les conspirateurs. Elle demande qui donc est cet autre !
En ce moment la fille du major vient avec une lettre qu'elle veut remettre au vrai duc pour qu'il sauve son père qui en avait répondu. Elisabeth a des soupçons, elle prend, lit la lettre, découvre l'imposture. Mais elle pardonne le lieutenant, et l'épouse de la main gauche au lieu de l'épouser de la main droite. "Ce n'est qu'un changement de mains", ainsi se termine la pièce.
L'autre est une comédie très drôle, mais assez crue; après le deuxième acte, je partis. On disait vraiment des choses trop... des bêtises, quoi ! Mais c'est joli, la scène chez une cocotte qui mystifie son amant est superbe. C'est un méli-mélo très drôle, très bien disposé et arrangé. Et je resterais avec plaisir, mais !
Vis-à-vis Anna, Georges et Lefèvre. Ce gros hippopotame ose venir chez nous de l'autre loge, j'en suis indignée. Pauvre Dina, voir toute la soirée devant elle la maîtresse de son père. Elle était furieuse. Je pars avec les Anitchkoff, Zibine a offert une multitude de bouquets. Paul et Khalkionoff vinrent dans la loge. Je voulais rester mais c'est vraiment scabreux. Par respect pour moi je devais partir. Il est douze heures et ce n'est pas fini.