Jeudi 11 septembre 1873
Jeudi 11 septembre 1873
Madame Patton vient parler à maman, elle est toute troublée et inquiète; on fait courir le bruit que son mari est destitué. Ce serait vraiment dommage, la Tolstoy et compagnie triompheraient. Mme Patton a télégraphié à la grande-duchesse et à la comtesse Keller. Elle est très inquiète et son petit qu'elle nourrit est malade.
On me dit quelquefois "Hamilton" mais généralement c'est lorsque je sors, et je me sauve vite en haut.
Le soir nous sortons, moi et Paul en fiacre. J'ai d'abord commandé cent cartes de visite pour maman et les achats des professeurs. Ensuite à la rue de la Préfecture prendre mes boutons qui étaient cassés et j'achète un réveil pour vingt-deux francs. Je rentre et maman me gronde parce que je suis allée à la mer sans lui dire. Ils étaient en calèche et c'était convenu qu'ils nous suivraient.
Maman était à Monaco et, en retournant, était dans le coupé de M. Chaussade. Elle le connaît. Il a parlé de moi et me donne seize ans ! Il a dit que j'ai des bras superbes. On lui demande où il m'a vue, au théâtre. Tout le monde parle de moi, on me donne seize ans. Quelle injure ! Comment ose-t-on parler de mes bras, de mon buste ? ! Vraiment cela me vexe beaucoup. Il n'y a pas de quoi, mais je me sens uneasy quand on dit ces choses-là. Un sentiment si drôle.
Quoi faire mon Dieu pour qu'on ne pense pas que je suis grande ? Pour une raison seulement je suis contente. C'est que je ne devais pas paraître trop drôle à Boreel.
Je ne puis me souvenir sans colère le Mardi Gras, lorsque je jetais des bouquets à Mlle Kolokolzoff et qu'au moment même Boreel se trouve devant la voiture, je n'eus pas le temps de retenir le bouquet, qui tomba à ses pieds. Le souvenir seul de cet accident m'enrage, quelquefois au piano je m'en souviens, je ne puis continuer et je m'envoie des injures tout haut. Il a pour sûr pensé que c'est pour lui ce bouquet, et il le regarda d'un air indifférent, tomber devant lui. Rien ne peut exprimer ma rage. Un homme (que je ne connaissais pas) pensera que je lui jette un bouquet !
Oh ! que j'étais misérable ! Au moins si j'avais l'intention de le faire. Assez ce souvenir m'énerve, m'enrage, me met hors de moi. Moi m'abaisser ainsi ! Jeter un bouquet, rougir ensuite ! Oh ! c'est abominable, tout simplement. Cet animal pensera que... Oh ! c'est affreux ! Si je pouvais expliquer l'affaire à cet homme, mais non, c'est impossible. Quelle humiliation, mes enfants !
C'est passé, et au moment où j'écris, je sens l'injure aussi forte et ce sentiment de uneasiness, d'amour-propre blessé me domine.