Bashkirtseff

Mardi 2 septembre 1873

OrigCZ

Mardi 2 septembre 1873

Le premier jour depuis l'interruption des études, je me lève à cinq heures. J'ai lu Le ravin, mais je n'ai jamais la patience de finir un roman. J'écrivis à Lise, je répondais à sa lettre [d'] il y a deux jours. La journée d'aujourd'hui est particulièrement orageuse, tout le monde se fâche. Grand-papa est insupportable, il finira par manger maman !

Je parlais haut, je voulais qu'on m'entende au milieu de ce chaos, on s'est mis à me gronder, je voulais m'expliquer toujours fort, mais on a pris cette explication pour une scène.

Dorénavant je ne vais plus m'expliquer pour remplir ma promesse (robe grise, bien). J'ai pris à maman un médaillon, un bouclier blanc avec une croix rouge émaillée. Un bijou anglais, simple mais bien. Je sors avec la princesse pour des commissions diverses, d'abord ma glace psyché à dorer (ça n'est pas tout à fait une psyché, mais enfin). Acheter un crayon, donner à raccommoder mes boutons-boules, et acheter du tulle blanc pour garnir mon lit. Je vais faire quelque chose de joli, j'aime avoir un joli lit. Il sera tout en tulle blanc, simple et élégant. Sans doute j'aimerais mieux pas simple, mais en appartement loué et nous quittons Nice dans un an au moins ça ne vaut pas la peine de dépenser le temps et l'argent. Une fois installés à Paris, j'aurai un lit tout blanc et une chambre toute blanche ou bleu ciel. Même à Paris je ferais le lit en tulle mousseline et dans ce genre; je ne pourrai pas avoir du satin, de l'or, des dentelles, une niche, des lumières comme je voudrais, tant que je suis fille. Après dîner je sors en voiture sans chapeau, il fait sombre, la lune éclaire. Grand-papa commence sa messe, il est en vérité abominable. La princesse dit qu'elle en deviendrait folle si elle vivait avec lui. Le nom de Hamilton était prononcé plusieurs fois, j'ai encore rougi mais il fait sombre.

Papa dit en autre :

- Hamilton, son mari...*. (Gioia).

Est-ce possible que l'on puisse croire à une pareille honte ? Lui, le duc de Hamilton: un descendant de je ne sais quelle famille royale, épouser une... non, je ne peux pas y croire. Elle est toujours à Nice. Tous les étés elle vient à cette époque à Nice. Maman l'a vue assise sur le balcon avec son singe et deux renards.

J'ai beau dire ce que je veux, il me plaît diablement ce Hamilton, vraiment je l'aime. A chaque minute je pense à "son museau".

Bensa est venu, je lui ai donné la liste des sciences pour qu'il m'envoie des professeurs du lycée.

Enfin je me mettrai à l'œuvre. A cause de cette canaille de Collignon et du voyage, j'ai perdu quatre mois. C'est énorme !

J'ai lu dans "Le Derby", les courses de Porchefontaine, le duc était absent on a triché avec son cheval. Je le cherchais en vain.