Bashkirtseff

Mercredi 2 mai 1883

Orig

# Mercredi 2 mai 1883

Je travaille au portrait de Bojidar et Mlle Canrobert a une nature morte.

Et nous sommes surtout très occupés de notre pantomine; Bojidar a composé un scénario assez drôle et nous trouvons tous les jours quelque chose. Il se brosse des toiles et des pancartes. Ça s'appelle Pierrot peintre. Et voilà que cet idiot de Bojidar descend au salon et en faisant des gambades se foule le genou.

On envoie chercher le médecin et en voilà pour quinze jours, c'est désolant. C'était si joli. La scène représente l'atelier de Pierrot qui est amoureux de Colombine Mme Cassandre (Emile) vient du Pierrot (Bojidar) croyant venir chez sa modiste Pierrot avait changé les enseignes. Il supplie Mme Cassandre de lui laisser faire son portrait qui consent. Colombine (moi) se place derrière elle et Pierrot lui envoie des baisers en peignant. Mme Cassandre le prend pour elle et se pâme.

Enfin elle s'endort et Pierrot fait une déclaration à Colombine et la demande en mariage. De quoi vivrons-nous demande Colombine. Alors Pierrot lui montre ses peintures. Des parodies déjà faites cet après-midi, des principaux succès du Salon, tels que l'Amour au village de Bastien. Ici se placent des actualités et des farces.

Colombine trouve que cette peinture est atroce et Pierrot désespéré s'assoit sur Mme Cassandre qui se lève en sursaut et Pierrot va rouler par terre, puis il lui explique que c'était pour prendre une mesure. Mme Cassandre trouve son portrait si affreux qu'elle tombe et meure. Colombine est désespérée et Pierrot crève ses toiles cause de tout. Mme Cassandre réssuscite. Pierrot lui jure qu'il ne peindra plus jamais, il montre une pancarte où est peinte la fameuse colonnade avec une inscription énorme : Bourse, il fait le geste de faire des porte-monnaies. Mme Cassandre ravie lui donne Colombine en mariage.

[En travers: La bourse et la femme qui tombent c'est de moi. Ô amour-propre d'auteur.] Voilà en bloc. Mais il y a des choses drôles lorsque par exemple Mme Cassandre pose mal et que Pierrot tape dessus et qu'elle roule par terre, elle tire de sa poche une bande de papier et la présente au public, en grosses lettres: "Ah ! N'insultez jamais une femme qui tombe I".

Et voilà que c'est remis... Et Jules sera parti alors...

Je devais aller à l'Opéra; mais à quoi bon ? C'est-à-dire. J'ai pensé un instant y aller pour qu'en m'y montrant jolie cela vienne aux oreilles de Jules. Et pourquoir faire ? Je ne sais pas. Enfin est-ce bête ! Est-ce fou, que je plaise à des gens à qui je ne tiens pas du tout et qu'en revanche... Oh ! c'est sûr que je ne lui plairai pas. Et puis cette Mackay le tient et puis il n'a pas le temps... Mais ce serait si gentil, si charmant, si bien ! Je serais si contente !

Ce serait si... Seulement il ne faut pas le lui montrer, il paraît que Breslau s'est jetée à sa tête mais... Qu'il n'aime que les blondes... Et c'est lui-même qui le dit. C'est de mauvais goût. Il faut faire attention d'autant plus que ce serait vraiment pour le roi de Prusse, car enfin je ne lui en veux pas sérieusement à ce grand artiste. L'épouserais-je ? Non. Eh bien alors ?