Jeudi 3 mai 1883
# Jeudi 3 mai 1883
Les deux frères doivent dîner demain, à moins que...
Je sens que je serai stupide, gênée, je ne saurai rien dire. Ah! c'est ennuyeux. Et puis inviter quelqu'un d'autre ou pas ? S'il n'y a qu'eux je ne saurai que faire et maman et ma tante seront si bêtes... Mais qui inviter ? Dusautoy jouera du piano pour qu'il y ait du bruit... Ah ! il faut tout laisser à la grâce de Dieu...
Il faudrait quelqu'un comme Julian qui m'aide à briller... Il y aura Alice, elle est bien jolie et si elle allait me nuire... Non, ce n'est pas à craindre. Comment faire pour qu'il trouve en moi la femme qui le comprend et en même temps qui ne se jette pas à sa tête. Saint Marceaux ? Je me prépare tant que je ferai four ou il ne viendra pas.
Bojidar étant démoli je travaille à mon portrait. Et pendant les repos je viens dire que... Mme Mackay était au vernissage avec la princesse Massalsky, femme du consul Russe de Paris. Elles ont fait connaissance à la vente de charité où j'ai vu leurs deux noms imprimés. Mme Mackay a offert des cartes pour le vernissage, la petite princesse qui n'est ni très chic ni très aristocrate et qui en somme n'est la femme que d'un petit consul a accepté, tout ça n'est pas difficile à reconstituer.
N'empêche que je voudrais bien me promener avec la susdite consulesse [sic] et que cela me poserait mieux que de me promener avec la Mlle Canrobert. Maman ne veut pas comprendre que rien n'y fera tant que nous n'aurons pas la protection des nôtres. Mme Massalsky aura dit à la Mackay que personne de notre ambassade ne va chez nous. Et on soupçonne des horreurs, car nous ne pouvons pas venir dire que nous ne sommes que des hobereaux de province, assez riches voilà tout. Nous sommes posés ici en grands seigneurs, il est évident que chacun se demande pourquoi nous ne connaissons ni l'ambassade ni les Russes de marque...
Décidément je sais poser à l'enfant... Mais c'est que son tableau à Bastien me fait de plus en plus réfléchir. C'est malheureux qu'il ne voit pas le tort que lui fait ce fond ou chaque feuille est faite. Ça manque d'air, positivement. Et les maisons dans le fond se collent aux figures.
[Extended analysis of Bastien's Jeanne d'Arc and current painting...]
Qu'est-ce que ça me fait au fait ? Ce n'est tout de même pas drôle qu'il vienne ici pour son frère.
Enfin, voilà. Nous partirons le 15 ou 20 mai et voilà un mois à l'eau. Du 20 juin au 20 août non, au 1er septembre je travaille aux gosses. Le 1er septembre je commence l'enfant de chœur. Il faudra six mois pour le faire. Ce sera le premier grand tableau.
Emile m'a dit qu'il en a parlé à Jules qui lui a dit qu'il serait bien heureux d'avoir trouvé ça. Et qu'il me certifie le plus éclatant succès si je m'y mets de façon à avoir le temps de finir. Cet architecte est tellement emballé et m'engage tant à faire ce tableau que je ne sais quoi penser, il y a peut-être quelque chose là-dessous, mais quoi ?
Alors voilà mon temps distribué. Qu'est-ce qui va m'empêcher d'exécuter ces projets ? Car il arrive toujours quelque chose. Hier nous nous disions: Dieu que cette pantomine va nous amuser ! Tout est trouvé, tout est entrain, rien ne peut la retarder, tout est prévu. Crac, Bojidar se foule le genou au milieu du salon.