Dimanche 28 janvier 1883
# Dimanche 28 janvier 1883
Quoi encore ? Mais il y a juste douze heures que je ne me suis plainte... Je suis bien fâchée à cause de Bastien. Et je pense que son idiot de frère est un peu cause... Il aura dit partout beaucoup de bien de moi, on aura répété que Bastien-Lepage est toqué de Mlle Baschkirtseff lequel des deux Bastien.
En attendant on m'a attribué le vrai naturellement et voilà. Et me voilà bien.
Mais enfin, c'est insupportable ! Mais j'en ai assez. Mais je ne veux plus !!!!
Il faut que j'écrive trois fois par jour à présent... Et j'ai un peu mal à la tête et pour que ça m'arrive il faut que je sois bien embêtée ô mon Dieu.
La Bailleul vient dîner et raconte ceci. Que des femmes furieuses de ne pas avoir été invitées et quelqu'un de très méchant dans la colonie russe, nous en veut à mort. On a fait ou l'on va faire faire des articles de journaux contre nous... Et puis que hier, samedi, notre jour, on devait venir chez nous faire un scandale. Qui on ? Alors elle m'a écrit. C'est inepte tout ça.
- Mais chère Comtesse, lui dis-je, ça me paraît bien extraordinaire que "Le Gil Blas" publie quelque petite infamie, passe encore, il attaque le ciel et la terre, mais ce que vous dites est tout à fait étonnant... Qui on ? Et à quel propos ?
- Mais Mme Mackay qui est si méchante... Vous savez bien...
- Mais je ne m'en fais pas la moindre idée... Je ne la connais pas, nous ne la connaissons pas, il n'y a rien de commun entre nous; Bastien est venu chez nous, mais Carolus aussi, mais Saint Marceaux, mais Wenecker, Caillas, Robert-Fleury, un tas d'autres...
Alors me voyant prendre ça comme ça:
- - Enfin je vous dis ça, parce qu'on a dit qu'il vous admirait, voulait vous épouser; est-ce que je sais...
- - M'épouser ! Eh bien il peut se fouiller.
- - Elle s'est imaginée ça et alors vous comprenez...
- - C'est tout à fait étonnant.
Qu'en dites-vous ? Je dis que j'ai la manie du potin et que je ferais bien de m'en défaire.
Nous allons ce soir chez les Kanchine, elles sont venues trois fois, elles reçoivent le dimanche soir, ce sont des Russes bien et je fais ce sacrifice de sortir... 11 rue Murillo, on ne danse pas heureusement, mais on cause et puis pendant que tout le monde est autour de la table à thé, une dame chante.
Mme Kanchine me présente aussitôt Molinari et Texier, deux vieillards célèbres et me les confie comme à une femme supérieure, qui va s'amuser en la société de ces deux esprits. Cette femme supérieure sait bien vaguement que Molinari écrit, quant à Texier... j'en ignore absolument. Je peux bien avouer ça ici. Le bruit des conversations était tel que je n'ai pas souffert du tout, vous savez que j'entends parfaitement au milieu du bruit... Il m'a falu quelques efforts je l'avoue pour ne pas dire des bêtises ne connaissant rien, rien, rien de mes deux vieillards, mais je m'en suis tirée, aidée par la vanité de me voir regarder par tout ce salon, en conversation sérieuse avec des hommes distingués.