Bashkirtseff

Mardi, 18 août 1874

Orig

# Mardi, 18 août 1874

Je me lève de meilleure heure et me sens bien. Je rage et suis malheureuse. On dirait que tout le monde a fait une conspiration pour me dire que je suis pâle. Je pleure de rage en pensant à cela !!!!!!!

Je déjeune avec maman au Kursaal, robe grise, bottines jaunes, les jaunes sont les Hamilton, les noires les Blackprince.

J'ai rêvé de Marguerite, elle était si hautaine et si peu aimable que j'eus peur en la voyant sur l'estacade où nous allâmes voir arriver le bateau de Douvres avec les Toumancheff. Les rêves sont souvent menteurs, deux jours avant de quitter Spa j'ai rêvé que j'ai sali la figure de Doria avec de la mousse de savon, qu'il s'est fâché alors j'ai commencé à tirer des espèces de longues manches gros bleu qui lui pendaient devant, malgré son air sévère et ses promesses de raconter à tout le monde que je suis mal élevée et de se plaindre à Gambart. Voilà une bêtise qui ne peut pas arriver et que je rêve.

Elle, Marguerite, était accompagnée des Villancaria et des deux Doenhoff. Celui que nous connaissons est venu nous saluer puis est allé et est resté tout le temps auprès de la princesse.

Il nous rejoint après sur la digue, on regarde mes bottines et ma personne comme un loup blanc. Sur la digue je suis avec maman, Doenhoff et le prince Nazaroff, un prince qui voyage avec les Toumancheff qui sont très gentils, mais dont je suis contente de m'être débarrassée pour le moment.

Tout à coup vient ma tante et Dina avec des airs vainqueurs pour lesquels je t'étoufferais. Elle nous dit qu'elle vient de rencontrer Mme Voyeikoff et ses enfants. Dans quelques instants en effet elle vient, Doenhoff fit une grimace et s'est sauvé en l'apercevant.

Julie est le portrait de Bête.

Le premier mot de Mme Voyeikoff fut :

— Comme vous êtes pâle.

Mon Dieu suis-je déjà tellement pâle ! Et encore maman qui dit à chacun ses inquiétudes et dit que je suis pâle et dit que je me fâche quand on me le dit ! C'est à mourir de rage !

#### ! ! !

J'ai l'habitude en arrivant dans une nouvelle ville de choisir un Plobster, ici j'ai choisi celui du premier jour sans savoir ce qu'il est. Sur l'estacade il y en avait beaucoup, et lui se promenait sur un yacht.

Nous sommes passablement bien à Ostende.

Je rentre à cinq heures et écris jusqu'à six heures et demie laissant les autres dîner avec les Tamancheff.

Basilewsky est un homme de quarante ans à peu près, le [Rayé : modèle] type d'un pope noir.

On m'entraîne au Casino, je n'y reste que jusqu'à dix heures. Doenhoff riait avec nous des beaux danseurs. Une petite fille de trois-quatre ans à côté de nous s'adresse à sa mère :

— Maman, pas un gentil cavalier ! C'est la pure vérité.

On m'exaspère avec ce comte ! Je le déteste, et ces derniers jours il m'est insupportable et Walitsky ne fait que parler de lui. Ils me font pleurer ces barbares ! Walitsky a inventé une méthode pour me faire rire. Chaque fois que je m'enfuis ou fais une mine au nom du Polonais il dit :

— Doria Paâmphilii. — Je ris, parce que c'est bête.

— Ah ! je sais, je vous dirai, Doria, comme il me plaît. En effet, c'est drôle, les terre-neuve me plaisent toujours ainsi.

Je ris et me contente de savoir que ce n'est pas vrai. On m'a demandé comment Doria est Plobster, n'étant ni gros ni rouge et étant un Italien. J'ai dit qu'il est Plobster parce qu'il est extrêmement noble et riche, de même parce qu'il a une bonne position et un beau nom. Quant à sa figure elle ne me plaît pas. Il a une bonne figure et sympathique et noble mais jusqu'à présent je ne l'ai point trouvée selon mon goût.

Comme ils sont bêtes, ils me taquinent avec Doria qui ne me plaît pas et ils n'ont pas fait attention à de Biesme auquel j'ai fait attention et dont je leur ai souvent parlé et dit assez, trop. C'est juste pour cela qu'ils n'y croient pas. Cependant maman le reconnaît beau, il l'est vraiment.