Bashkirtseff

Dimanche, 9 août 1874

Orig

# Dimanche, 9 août 1874

De jour en jour je vais mieux, Walitsky m'a donné des pilules de quinine, il paraît que j'avais la fièvre.

Le comte devait partir ce matin à dix heures mais il est resté parce que hier j'ai dit :

je ne vous invite pas d'aller à cheval, vous trouverez toujours des mais et des si.

À trois heures il est chez nous. Walitsky lui défend d'aller à cheval parce que ce matin encore il avait une crise de nerfs. Il n'osait pas refuser, disant que Mlle Marie serait fâchée alors je lui fais dire très gracieusement qu'il peut ne pas monter et que je ne me fâcherai pas.

À quatre heures je monte à cheval avec Paul, pour faire mes adieux à mon cher Spa, pour lequel j'éprouve une tendresse particulière.

Maman et Dina sont en voiture et conduisent le comte chez la Viviani. Je les suis. Sur la montée de la villa, j'arrête le cheval, rappelle le comte, lui donne ma bride à tenir et ma cravache entre les dents, et m'arrange le chapeau. Cela lui a fait plaisir et ne m'a rien coûté.

Il m'a serré la main plus fort que d'habitude, et j'ai levé les yeux sur lui, ce que je ne fais pas toujours.

Nous allons chez Gambart, j'arrange ma coiffure chez lui ; il est très charmant. De là à La Géronstère, puis par plusieurs sentiers inconnus à la promenade des Artistes, je pris toutes sortes de chemins et de détours ; puis par la Louvenière en ville. Le cheval est bon et je suis contente.

[Rayé : Nous nous arrêtons]

Je marchais tout le temps sans mot dire, je pensais, je rêvais même. J'aurais avec plaisir entendu une déclaration d'amour, même plusieurs. Je faisais mes adieux à ce cher second Bade. J'ai même pensé à Gericke, à toutes nos excursions quand nous formions bataclan.

J'ai regretté.

J'ai galopé.

J'ai pensé à... M. de Biesme. Je croyais qu'il montait à cheval à côté de moi.

Il a plu le matin et quand je monte il fait un temps comme j'adore.

Avant de rentrer nous nous arrêtons chez les Davignon. Je vais ensuite à la Promenade des Anglais en souvenir de mon bel inconnu, laissant maman et Dina, qui vont chez Baas où j'irai les retrouver. Je mets ma robe rose, jaquette noire, chapeau noir. Walitsky me vient dire que Boreel dîne là.

J'aurais été charmée de le voir, mais ce n'est pas vrai.

Ce soir les deux princesses et les deux cours sont au théâtre, pas une loge. Je suis réduite à prendre quatre places dans la loge du centre. Je suis très mal à mon aise placée là. Tous les Plobsters sont au théâtre. "Le voyage de M. Perrichon" charmante pièce et bien jouée.

Chaque fois que Doria entrait, maman ou moi disons voilà Plobster ou bien Doria.

Malgré nos mauvaises places je ne suis pas trop furieuse, je le suis cependant un peu. C'est une soirée perdue. Il y avait tant de beau monde.

Nous allions de chez Baas chez nous, il faisait sombre mais j'ai bien vu M. de Biesme [Rayé : parlant] au milieu du chemin avec un des M. de Singay.