Mercredi, 5 août 1874
# Mercredi, 5 août 1874
Je ne sors pas du tout, je suis malade, je continue mon corsage gris. Nous allons dîner chez Baas, il pleut.
J'aime Spa et souvent j'aime Nice. Je me représente Nice c'est-à-dire, notre villa une après-midi après la pluie et Blackprince à la Promenade avec ses deux chiens. Ce soir a lieu le concert au profit des pauvres dans lequel je devais chanter.
Robe blanche Worth, cheveux pendants, je suis rose et bien. Nous trouvons des places au premier rang, à droite, de côté est la princesse Marguerite avec sa dame d'honneur, la marquise de Villamarina et le marquis, et puis vient le prince Doria et s'assied derrière la princesse et cause avec elle. À gauche devant nous, dans le coin, sont Gericke avec le comte, Paparigopoulos, son cousin, de Jahal, un peu plus loin la marquise, la comtesse Merjeewsky et Mme Paparigopoulos. Les demoiselles de l'hôtel d'Orange chantent.
Je regarde toujours Doria, je l'ai vu la première fois sur la place du Pouhon une fois que j'étais allée seule acheter des fruits chez Delannois, je ne savais pas qui il était. Il n'est pas beau mais il est distingué et grand.
Je l'ai regardé le moment où il entrait, puis encore deux ou trois fois, on ne pouvait pas ne pas le voir puisqu'il était derrière Marguerite et je la regardais souvent. Il regardait aussi, et à la fin de la soirée maman a dit :
— Ni de toi... ni de nous il ne détachait les yeux de toute la soirée pendant qu'il parlait avec Marguerite.
J'aime quand les gens bien me regardent, surtout des gens tellement bien sous tous les rapports comme le prince Doria.
Je rentre et pour m'endormir, me compose un conte sur lui.
Le petit Polonais était de glace, pauvre malheureux, [Rayé : quand] j'ai envie de le prendre. Je veux être bonne, je veux l'emmener à Nice, je veux qu'il soit heureux pour le rendre malheureux. J'éprouve une grande satisfaction en me sentant le pouvoir d'être méchante, d'être cruelle.