Bashkirtseff

Vendredi, 24 juillet 1874

Orig

# Vendredi, 24 juillet 1874

Nous passons tristement trois quarts d'heure à la musique, seules. Il y a un soupçon de pluie, heureuse du prétexte je me lève la première. À la fin de l'allée (robe blanche argent, bien) nous sommes rejointes par le vilain comte. Nous faisons un tour par le Morteau, puis nous rentrons. Le petit jeune homme ne dit que des compliments fades, visant à l'esprit et voulant avoir un petit air moqueur. Il m'ennuie.

Maman depuis le changement du baron, court après lui, l'appelle. C'est insupportable parce qu'il se sauve. Nous sommes sorties sur la place, avons rencontré les Row, maman appela le baron et comme les Row venaient chez nous, maman fit par force entrer Gericke.

La princesse Marguerite devant passer par les salons pour se rendre au théâtre à huit heures et demie, nous allons la voir passer. Maman va au théâtre et je reste avec les Américains. Je joue au billard avec la petite Row et Miss Ladd. Après, nous nous asseyons derrière les colonnes à droite. Madame et les demoiselles Robenson, Mrs Winslow et son fils, M. et Miss Ladd, les deux Row, M. West qui a demandé à m'être présenté, un Anglais blond et fade, chiffonné, pas mal. M. Jurybarren, qui ressemble un peu à Fedus, mais beaucoup plus singe que Fedus. Le marquis de Puente, M. Clark : voilà notre coin. Le comte, sérieux et soutenu, me fait la cour. Gericke ne s'approche pas. Papari fait la cour à la belle Polonaise et fait la conversation avec la petite fille Davignon. Mais sans eux je suis très entourée. Il y a quelques jours de cela j'ai vu autour de Miss Robenson un essaim de jeunes gens, je l'ai enviée, aujourd'hui c'était la même chose autour de moi. La Robenson et quelques Espagnoles assises plus haut me regardaient avec étonnement.

Avant de sortir je me regardai dans la glace, mes pieds divinement chaussés, de bottines à barrettes noires, la robe blanche et argent faite avec ce cachet particulier que Laferrière seule sait donner, cette robe est candide, avec cela j'ai une ravissante taille, et les bras parfaitement pris dans ces manches étroites, attachées au bout par de simples rubans noirs, des gants noirs, pas de bracelets. Un petit bouton broche d'argent, pour cacher l'agrafe du haut. Coiffée bien, chapeau en feutre noir. Je suis rose comme il y a cinq mois.

Je me redressai, laissai pendre rondement mes bras, ce qui faisait ressortir ma taille, mis une main sur l'autre et me regardai.

Jamais je n'ai vu une toilette plus parfaite de simplicité, d'élégance, d'originalité, de candeur, de grâce. Jamais je n'ai vu une tournure plus élégante et gracieuse.

Dina, regarde et [je] dis : As-tu jamais vu quelque chose de plus élégant et de plus candide, tout, depuis les pieds jusqu'au chapeau ?

— C'est vrai, dit-elle.

Je n'ai pas besoin de son approbation, je sais ce que je sais. Je ressemblais à un lys.

Ce n'est pas que je me crois si belle, je ne suis pas assez bête pour croire une pareille chose, mais c'est la perfection de mon habillement que j'admire. Et heureusement ce soir je suis rose. Comme je le pensais, je n'ai pas manqué à produire de l'effet. Les autres sont des cuisinières à côté de moi, toutes ces dames avec des jardins sur leurs têtes, et des magasins de nouveautés sur leur corps. Mes pieds furent remarqués par tout le monde.

[En travers : Il est certain qu'on ne pouvait pas me donner moins de dix-sept ans]

J'ai beaucoup dansé au commencement et c'est moi qui ai commencé les danses. Vers onze heures je cessai et me mis devant à côté de la petite Davignon, sur une banquette extérieure. À côté sur le canapé étaient les autres Davignon, la Polonaise, la comtesse Merjeewsky et Dina.

Gericke cause avec la comtesse et vient me saluer. Il a l'air éperdu.

Je demandais qu'on rentre, mais on attend la sortie de la princesse Marguerite. Les musiciens s'en allèrent et on commençait à s'ennuyer lorsque quelqu'un proposa de jouer au colin-maillard. Tous les nôtres sont les seules qui restent, excepté Gericke et Paparinoceros, comme le nomme Gericke, qui s'en allèrent de bonne heure. On joue pendant quelques minutes lorsque la porte s'ouvre et la princesse paraît. Je suis assise seule sur une banquette à gauche tandis [que] tous nos saligauds se cramponnent à un canapé à droite, [Rayé : les uns debout, les autres assis.] tous debout.

Au salon de lecture en sortant je rencontre Ladd et Clark. Je me couche à trois heures.