Bashkirtseff

Mercredi, 22 juillet 1874

Orig

# Mercredi, 22 juillet 1874

Départ de la diva, de la mangeuse de cœurs.

Gericke a demandé à maman si Tanlay était l'ami de Mme Toutàfait, ce qu'elle en pensait. Maman lui a dit que cela peut bien être, alors il demanda pourquoi ne le prenait-elle pas lui tout à fait, puis — Oh ! c'est vrai, je l'ai donc embrassée... ici je m'arrête, je ne peux dire où il l'a embrassée.

Je me réveille à une heure, la tête me tourne, c'est la dernière fois. Je m'anéantis de cette façon.

Nous allons à la gare reconduire Basilévitch (robe grise) au milieu de la montée nous rencontrons le marquis, le comte, Papa et Gericke. Elle est partie, nous sommes les carabiniers.

Entre autres choses, on a parlé des couturières :

— Mais pourquoi vous adressez-vous, Madame, aux couturières d'ici, dit Papa.

— Ah ! Monsieur, c'est nécessaire, les pavés de Spa demandent des réparations constantes aux ourlets des jupes, répondit maman.

— Mais Douchenka n'a pas besoin de cela, dit Gericke en touchant le bas de ma robe avec sa canne et en le relevant un peu par ce mouvement.

— Baron, baron ! s'écria maman en colère, ce que vous faites n'est pas bien, je vous l'ai vu faire à des dames qui veulent le permettre, mais avec des demoiselles ces manières sont impossibles !

Et me prenant le bras elle [Rayé : tourna sa tournure] s'en alla, toute furieuse, et puis rouge.

Je trouve que c'est bien fait, il s'oubliait trop, il fallait quelque chose pour le replacer convenablement. J'avais peur tant maman a dit cela en colère. Les messieurs nous suivent tête baissée, et nous marchons à côté de Dina avec le marquis et parlons tranquillement de toutes sortes de choses comme si rien n'était. Gericke très timidement vient marcher à côté de moi et se mêle à la conversation toujours timide. J'ai si bon cœur que je suis confuse pour lui.

Tous ensemble nous allons à la musique et sans nous asseoir, laissant le marquis à sa marquise et le comte à sa mère (il est jaloux de Gericke) montons chez Annette et Lubin.

La princesse Marguerite, femme du prince Humbert, est assise sur un banc au fond de l'allée. Avant-hier nous avons vu à La Géronstère la comtesse d'Aquila, son fils et sa bru.

La montée s'effectue calmement, maman mène la conversation toute simple. Gericke monte tout droit, je fais la même chose. Je grimpe comme un singe, m'accrochant aux herbes et aux branches, et m'appuyant sur la canne du baron. Il montait en avant. C'était si rude qu'au bout la tête me tournait et je sentais battre comme un Morteau au milieu du dos. Le baron est convenable comme Tanlay. Nous nous asseyons sur un banc pour les attendre, il me demande la permission d'essuyer mes bottines, permission que j'accorde, mais sur un mouvement de moi il fit un autre mouvement qui voulait dire :

— Oh Mademoiselle rassurez-vous, comment pouvez-vous penser cela !

Nous parlons de Nice, du monde de Nice. Ils ne viennent pas. Alors nous nous levons et à quelques pas les trouvons assis sur un autre banc nous attendant.

Au sommet, on prend du lait, la conversation est toute simple et austère, les messieurs ont l'air de mouches en hiver, on parle de ma tante, maman dit qu'elle est sûre que le baron lui plairait et qu'elle plairait au baron. J'ai la bêtise de montrer combien j'ai de l'expérience en affaires, de faire la cour, je ne veux pas dire amoureuses. On s'étonne en silence, et maman plus que les autres. On descend, Dina veut grimper et sautiller comme une biche ; quand je suis montée, je suis montée avec dignité et naturellement, mais elle, s'emporte et se croit un papillon.

Maman reste en arrière et Gericke nous reconduit jusqu'au Pouhon.

Il a été parfait mais contraint. Je crains qu'on l'a offensé. Je suis si bête, je suis confuse pour les autres.

Au Pouhon a lieu un conseil sur l'excursion de demain. Nous sommes dix-huit : la marquise, la comtesse Guirini, maman, Davignon, Joséphine, Jeanne, Mlle Foligno, la comtesse Merjeewsky, Mlle Witoslowska. Le comte Guirini, le comte, Paul, Walitsky, M. Foligno, M. Witoslowsky.

Moi, Dina et Papa allons à cheval, on partira entre huit et neuf heures. Maman a beaucoup invité Gericke, mais il baisse les yeux et dit que c'est impossible, qu'il doit aller voir sa tante.

Tous ils sont chagrinés du départ de la Basilévitch. Je vais avec Paul au manège et commande nos chevaux. Il est arrivé un monsieur qui a l'air intéressant.

À dîner à Laeken, maman dit que ce n'est que depuis sa connaissance avec Basilévitch qu'elle commence à regarder les hommes. C'est-à-dire qu'elle les voyait et connaissait quand ils étaient présentés, et quand elle les connaissait dans un salon mais, que ce n'est que maintenant qu'elle les distingue et [les] regarde dans la rue.

Le fait est qu'il y a beaucoup d'hommes ici.

Et à Baden je n'aurais jamais connu les Hamilton si, [Rayé : on ne me l'avait dit] un matin, je me promenais avec Dina et j'entrai dans un restaurant et là je vis un épouvantail, un monstre en bottes blanches à revers rouges avec un chapeau à carreaux, d'une masse effrayante. Et ce monstre arriva et commença à crier qu'on lui serve des homards, du foie gras, etc. Voilà, pensai-je, comment cet espèce de moujik bâfre. Alors je demandai et on me dit que c'était un véritable moujik, un épouvantail. — Qui donc te l'a dit ? dis-je toute émue et d'une voix timide. Oh je ne m'attendais pas au bonheur d'en entendre parler. C'est le seul homme que tu m'aies montré.

— Mais je te les montre tous, dis-je encore, puis — Voilà il est plus gros que le Grec*, mais il est beaucoup mieux fait.

— Oh quelle idée !

Maman dit que je suis amoureuse de Gericke. Voilà, un si petit cœur et Gericke s'y trouve. Je ne suis pas amoureuse de Gericke, et je voulais dire que mon cœur était très grand.

Ce discours du duc me ramène tous mes souvenirs de Bade et de Nice, je souffre ; je cache ma figure entre mes mains pour me remettre, comme si en me serrant fortement la tête j'empêchais aux pensées de s'en aller, de se disperser et de me rendre presque folle !

Après dîner nous passons chez la marquise une heure. On tire au sort pour ceux qui iront dans le break ou dans un supplément.

Comme nous ressortions au Casino, Mme Lausberg remet à maman une boîte et une carte de visite. J'entends, encore au haut de l'escalier :

Alors, Moussia, Gericke t'a envoyé un cadeau.

Je pensais et on plaisante, mais en bas je vois effectivement un éventail et la carte de visite que voici. Je ne peux croire ni à mes yeux ni à mes oreilles, je n'y comprends rien, rougis et exprime mon étonnement sur tous les tons.

Un très joli éventail en bois clair découpé et toile avec une fleur, et en bas M.B. peints en ne m'oubliez pas. C'est charmant et incompréhensible. Comment et pourquoi Gericke a-t-il eu l'idée de me donner un éventail.

J'en ai deux, le grand noir et celui-ci presque aussi grand que l'autre.

Je n'y puis rien comprendre,

Je n'y puis rien comprendre

Mais d'une idée si tendre,

Je voudrais bien savoir l'auteur.

Air de la Dame blanche.

Je vais au Casino en ma robe grise et un chapeau, et avec l'éventail. C'est mon premier cadeau : Voilà, tu vois, les cadeaux et l'éventail après lesquels tu soupires, me dit maman. Tout le monde est étonné de nous voir sans toilettes, Dina seule est en grande robe noire de Worth. Laferrière est une misérable à côté de Worth. Il n'y a que Lui. Dina a mis cette robe pour le baron, Basilévitch étant partie. Ce n'est pas moi qui fis cette remarque, c'est maman. Le bal est très animé. Je danse trois ou quatre danses. Nous allons au bureau de Kirsh. Maman, Dina, moi, de Jahal, Witoslawsky, le comte, le Grec.

Gericke se cache et ne s'approche pas. En passant par le salon du milieu, je tenais l'éventail en main, j'étais au bras de Walitsky. Gericke était assis avec un monsieur auprès d'une table.

"C'est charmant baron, vraiment très aimable".

— Qu'est-ce que c'est ?

— Ce n'est rien, vraiment je ne sais pas. Enfin des mots saccadés sans sens, comme toujours.

Je ne sais pas pourquoi il n'est pas venu nous saluer. Maman dit que :

C'est vraiment la première fois de sa vie qu'il fait la cour à une demoiselle et il s'est effrayé de son audace.

— Il ne fait pas la cour, dis-je. Et comment donc ? Bien sûr*. Mais ce n'est pas cela.

Je suis charmée de ce cadeau. C'est mon premier. Le Grec qui a sans doute été l'acheter avec Gericke en le voyant dit :

— Quel joli éventail, puis-je voir ?

C'est le baron, vous le savez d'ailleurs, dis-je en le lui tendant.

Le Polonais est jaloux de Gericke. Quel vilain caractère rusé, dissimulé, énigmatique, problématique.

[Rayé : En allant] En partant à dix heures et demie maman disait au Grec :

— Pauvre, vous êtes chagriné, etc.

— Je vais tâcher de vous consoler monsieur en vous décorant, — et je lui attachai à la boutonnière une cocarde de cotillon que maman avait emportée de chez Kirsh.

Je me montre passablement coquette ici, on me connaît (je viens d'entendre de la rue un mot, à la fin du livre) ainsi. Après tout, il n'y a pas de mal.

Je chante, une fois chez moi, la romance dont je raffole depuis une semaine : "On revient toujours".

J'ai fait connaissance de la Robenson par Miss Row.