Bashkirtseff

Samedi, 18 juillet 1874

Orig

# Samedi, 18 juillet 1874

On se lève tard, on a l'air déconcerté. Dina revient du Pouhon et raconte qu'elle y a vu Basilévitch avec Gambart, puis avec de Tanlay, Gericke et le Grec venait de loin. Maman est fâchée pour Gambart, je suis furieuse pour tout le monde ! Dès qu'on ouvre les yeux on entend de ces belles nouvelles ! Je suis jalouse de cette femme. Elle accapare tout le monde, c'est désolant, tellement désolant que je pleure presque.

Nous ne sortons pas, j'ai l'idée d'arranger la robe rouge de maman et passe l'après-midi à cette occupation.

Dépitée je suis ! et il y a de quoi. Dame, il me semble que je ne suis ni bossue ni laide. Il est vrai que je n'ai pas de barbe.

Maman se plaint, je me plains, nous nous plaignons. Il y a de quoi, je répète.

Un peu avant dîner vient le Grec, veut me faire chanter pour m'enseigner comment je dois chanter Si vous n'avez rien à me dire. Il assure que je le dirais aussi bien qu'Adelina Patti si j'y mettais plus de sentiment et de passion. Est-il bête, où prendrai-je de la passion ? La voix ne laisse rien à désirer, dit-il. Je le prie de jouer, me mets sur le canapé et pose, mais si peu et si naturellement que ça ne vaut pas la peine d'en parler. A sept heures un quart il doit venir ici pour aller ensemble chez Gambart.

Il vient, mais pas pour aller chez Gambart, il est indécis et assure qu'il ne sied pas qu'il aille. Survient le baron, lui ne va pas non plus. La raison m'est claire, c'est que Basilévitch ne va pas. C'est tout de même abominable. Gericke fait des bêtises, je reste au balcon avec lui, il veut que je lui montre mon pied et comme par hasard en se baissant l'a découvert, j'ai trouvé cela d'une inconvenance extrême; mais il dit qu'il ne faut pas se fâcher, il a dit presque tout ce que je dis de lui et le lui répétai en ajoutant que je suis d'une bonté angélique sans cela je me fâcherai déjà. Il se conduit comme jadis se conduisait Walitsky, aujourd'hui, par exemple, il me fit courir après lui autour de la table et on a ri.

C'est trop, à la première occasion je lui tiens ce langage:

- Monsieur, je vous prie de ne plus avoir ces manières avec moi, toute bonne plaisanterie a une fin, et vos façons déplaisent beaucoup à ma mère.

Si cela ne l'arrête pas je ne lui parlerai plus.

Maman dit avec raison que si un autre faisait le quart des choses que fait Gericke, je saurais bien l'arrêter, [Rayé: mais] et que je permets à celui-ci parce qu'il me plaît.

Il ne me plaît pas, c'est-à-dire qu'il est mieux que les autres, que je suis furieuse lorsque je le vois avec cette femme et que je me tremble pour moi lorsque je vois qu'il est beau. On nous a présenté un comte de Jahal, qui s'est fixé à Pétersbourg. Brunet dans sa vieillesse.

J'ai ramé.

A onze heures seulement on s'en va. Lorsqu'il ne reste que nous, Body et Mme Godefroy, Body et Malézieux chantent le duo: Causons de nos amours passées. On a fini par finir en choeur. Malézieux et sa femme logent au château même.

Je me suis abîmée, je ne me couche jamais avant deux heures, souvent à trois heures. Il faut en finir, je m'abîme. Dès demain je change.

Nous entrons au bal, il y a une foule de monde et de toilettes. Maman a beaucoup dansé, j'ai aussi dansé mais pas autant. J'étais légèrement coquette avec Papa, je ne m'occupe pas de Tanlay et de Gericke, à mon âge ce serait peine perdue.

Basilévitch a une grand robe vert d'eau de Worth mais elle a l'air d'un paquet dedans. La Robenson est jolie et élégante comme un oiseau. Aussi était-elle assez entourée ! Basilévitch se trouva encore entre Tanlay et Gericke. Mais ce qu'il y a de plus beau c'est que M. Basilévitch était là. Maman a dit qu'on a besoin de lui.

Comme il doit aimer de Tanlay. Le duc espagnol a dansé avec Basilévitch, il se marie dit-on, c'est un veuf avec deux enfants.

Il ressemble à Biasini.