Bashkirtseff

Vendredi, 17 juillet 1874

Orig

# Vendredi, 17 juillet 1874

Enfin j'arrive à ce vendredi, car c'est en une seule fois que j'ai écrit mes trois jours. Il ne faut jamais laisser à la traîne [Rayé: je mets] (robe toile, Massa, bottines jaunes me font un pied adorable, que tous regardent).

Je vais à la musique avec maman, Basilévitch, etc. Papa rigolo.

Gambart vient vers nous, maman lui fait inviter nos messieurs, demain il y a soirée chez lui. Etc. irait au diable pourvu de ne pas quitter sa belle. Il est venu pour elle. Qu'elle est heureuse.

On cherche Gericke, Gericke est introuvable, maman le voit passer au moment où nous allions dîner et l'appelle. Il fuit, il est distrait.

Gericke a dit qu'il n'ira pas chez Gambart, parce qu'il part pour la Hollande demain. Mais il revient dimanche; à la maison blanche !

Basilévitch dit qu'il ne reviendra plus. Ce n'est pas possible, il reviendra, ce serait trop... Quoi ? S.V.P. Ce départ m'ennuie, je suis agacée pendant le dîner, j'ai peine à paraître comme toujours. C'est bête.

Sans me déshabiller je vais en ville, j'avais besoin de marcher, de sortir seule. Sous prétexte de dire qu'on apporte le piano. Je suis fraîche aujourd'hui, ma robe de toile est adorable, tout à fait comme j'aime, mon chapeau aussi, mes pieds aussi, ma coiffure aussi, je suis contente de moi. Je reviens et vois alors, au café, le baron, le Grec et encore deux que je ne connais pas. Je me suis commandé un éventail énorme. Je suis retournée encore dans l'allée toute seule, toujours pour ce piano.

On s'habille. Ma coiffure, bandeau d'or, robe rose, bottines de satin noir, celles de l'hiver dernier, elles sont merveilleuses ces bottines, très bien. Nous allons chez la marquise, soirée.

Ni Basilévitch ni ses etc. ne sont pas encore là. Je suis impatiente, enfin paraît de Tanlay et mon visage s'éclaircit, puis Gericke et puis Basilévitch au bras du marquis. Décidément ils sont amoureux de cette femme !

Je ne décrirai rien bien, comme dans [Rayé: jeudi] hier, parce que j'écris maintenant et que je suis furieuse.

Gericke n'est pas amusant, mais il me plaît. Gericke est beau, Gericke ne fait pas attention à moi et je suis furieuse.

Il y avait quarante personnes peut-être.

On a dansé, j'ai dansé.

Gericke est abominable,

Canaille et diable Hardi, aimable Abominable !

Il ose des choses incroyables ! En finissant une valse, il ne me lâcha point, mais au contraire me pressa la taille je voulais m'asseoir il fit un faux pas et le chien de Mme Malézieux à côté de laquelle j'allai m'asseoir se mit à aboyer de toutes ses forces. C'est un cochon, les dames-cocottes l'ont gâté il se permet des choses impossibles. Que pense-t-il ? Winslow m'agace, il me fait la cour, Ladd louche et fait ce que fait Winslow. (Dans un quadrille Basilévitch et Tanlay d'un côté et Gericke et Row de l'autre passèrent [sic] une figure à causer. Ils étaient vis-à-vis).

Quand je me trouvai sur un canapé à côté de Row, je lui dis ce que je pouvais dire sur Gericke et Basilévitch, alors elle s'indigna et dit comment ose-t-il donc faire la cour aux demoiselles ?!!

Elle ne le comprend pas et croit qu'il lui fait la cour.

Dans le pays des artichauts

Parfois il fait très chaud

Justement dans cette contrée

Paparigopoulos est né.

C'est un homme athlétique

Embrassant la carrière diplomatique

Brun, fort beau garçon Comme son aïeul Agamemnon.

Walitsky

Au bord de l'océan Atlantique,

Marie, demoiselle fantastique,

Fait la planche avec le baron Gericke

Jeune homme diplomatique

C'est de Walitsky ces vers.

Gericke est amoureux.

Ah la nouvelle chose !

Row se fâchait en regardant Basilévitch appuyée sur la queue du piano, assise entre Tanlay et le baron. Tous les deux fondaient, dévoraient des yeux et aimaient. Ils restèrent ainsi en trinité une demi-heure qui me parut très longue. Row et moi nous disions que Basilévitch était laide. A quoi ça sert ?

Le fait est que c'est Basilévitch qu'on aime, que c'est elle qui attire. Le Grec ayant commencé à faire la cour à maman, pauvre maman, est passé à Basilévitch

Je rage ! Mais à quinze ans je ne puis rien !

Le Grec et Gericke sont agacés tous les deux, lorsque à la fin nous étions dans la salle à manger à table et mangeant. Basilévitch avait voulu manger et on fit servir du roast-beef.

J'ai essayé de causer avec le Grec, il paraît que je l'ai blessé en disant lorsque Basilévitch avait dit qu'il avait un caractère aimable. Vous trouvez ? Je lui dis qu'il s'était trompé, que je dis vous trouvez et vraiment quand je n'ai pas entendu et quand je n'ai rien à dire. Je l'ai regardé, il m'a dit que j'avais des yeux profonds. Il est grand mais il est jeune. Je tournai ma chaise et tout le temps je parlai avec lui. Je voulais qu'il dise ce que j'ai dit et qui a pu le blesser:

- Je ne suis pas habituée de prier, dites-le, je veux, dis-je en fermant les yeux. Bête que je suis.

Mais il avait quelque chose ce soir, j'en suis sûre. Nous rentrons à pied, Gericke me donne le bras, cette canaille voulait que je m'appuie, mais je lui expliquai que ce ne sont pas mes manières, qu'il se trompait. Dix fois il me prit la main, dix fois je l'arrachai. Il est dégoûtant, il le fait avec cynisme. Heureusement Walitsky et Paul vinrent et nous fûmes quatre. Mais devant eux il fut le même. Il ne cherche qu'à toucher le pied ou à presser la main, la baiser même, regarder tout près dans les yeux, et tout cela comme un métier ! Il ne respecte pas mes quinze ans. Heureusement que je les respecte. C'est fâcheux de voir un homme s'oublier ainsi. En partant il voulait absolument baiser la main de Dina et la mienne. Il ne cherche

ou Oshnar. Tout le monde est pris. Il a été présenté hier à Basilévitch

Il fait presque jour.

J'oubliai aussi de dire que Basilévitch me croît un génie, qu'elle me consulte et me demande à moi qui "ai le talent de reconnaître les gens" ce que je pense de tel ou tel et si Tanlay est amoureux d'elle. Elle me traite en grande, et me croît très pénétrante. Je prends avec elle des airs mystérieux et souvent aussi je faillis perdre le sérieux. Souvent je me tais, ayant l'air d'avoir trop à dire, et je secoue la tête ou souris comme si je dirais tout (si je parlais).

Notre villa se nommera Douchenka.

Cet hiver j'espère [Rayé: avoir] voir Boreel si Gericke vient.