Lundi, 13 juillet 1874
# Lundi, 13 juillet 1874
Lorsque je finis d'écrire hier, il était: n'étant plus nuit, il n'est pas encore jour.
Basilévitch vient au moment où nous déballons et essayons nos robes de chez Laferrière et celles qu'on envoie de Nice. Elle a besoin de quelqu'un pour se promener avec de Tanlay. Comme c'est jour je vais (robe blanche et argent, ravissante, pas mal).
Nous entrons dans une confiserie, Basilévitch achète son lot pour le pique-nique de demain, car demain nous allons au Barizart dîner. Notre famille, le marquis et sa femme. Koukourikan, de Gericke, de Tanlay, Winslow et Ladd, Basilévitch, Row.
De Tanlay nous paye du raisin. Il est très amoureux de Basilévitch mais nous nous préparons à une jolie comédie, c'est lorsqu'il sera parti et Basilévitch voudra reprendre Gericke qui a commencé sa cour à Row.
Nous dînons à l'hôtel de Flandre à côté de M. et Mme Basilévitch et de Tanlay. Row s'approche de nous pour demander des renseignements sur la partie d'aujourd'hui. Aujourd'hui à six heures après dîner nous allons faire le tour des quatre fontaines à cheval, moi, Dina, Eristoff, Gericke, le comte polonais, Winslow et Row; Basilévitch et de Tanlay et maman avec Papa rigolo, pour faire pendant à Basilévitch que l'on avait tant priée.
A six heures et demie la place du Pouhon présentait un aspect d'animation extraordinaire, trois voitures et sept chevaux de selle ne sont pas chose qu'on voit tous les jours ici. Mon amazone me serre la poitrine terriblement, je laisse flotter les cheveux sous ma casquette de velours noir et descends.
Tout le monde prêt, on part au galop. Ce fut un tel retentissement sur le pavé que mon cœur bondissait de joie.
Maman est fâchée de voir le Polonais faisant la cour à Basilévitch, elle ne veut ou ne sait pas comprendre que c'est exprès, et qu'il est amoureux de moi. J'en donnerai la preuve un peu plus loin.
La montagne montée je m'aperçus que j'étouffais. Je ne puis souffrir un corsage me serrant la gorge surtout lorsqu'il tend à la pousser en bas, c'est affreux. Au Tonnelet je reste en arrière avec Eristoff et le comte. Encore une montée après laquelle je ne respire plus, alors M. Papari etc. me conseilla de me déboutonner, ce que je fis pendant qu'il tenait la bride. Mais cela n'aide à rien, j'étouffe toujours, le comte conduit mon cheval et je me tiens à peine sur la selle. La princesse, ennuyée de voir son cavalier auprès de moi, s'en va au galop. Je reste seule avec le petit. Je ne souris pas, je ne l'ai pas regardé, je ne disais que ce qui était nécessaire pour le cheval, et comme cela nous avons marché au pas jusqu'à La Géronstère, où je trouvais tout le monde assis autour d'une table, mes deux Américains vinrent au-devant de moi et s'assirent à mes côtés. Ils sont affreux mais je fleurtais tout le temps avec ces deux vilains. Je ne sais plus à propos de quoi Gericke se mit à genoux devant moi:
- O reine de mes amours...
Rire général. Il est facile et amusant. Mais j'ai pensé que retourner comme j'étais venue serait affreux, j'allais donc dans une chambre et m'arrangeai de façon à être parfaitement comfortable. Gericke m'aide à remonter, me met les gants, m'arrange l'amazone, puis toujours en arrangeant prend mon pied dans sa main et me dit sur tous les tons qu'il est joli. Le comte accourt comme il fait toujours lorsque le baron est auprès de moi, il croit qu'il me fait la cour et s'émeut.
Mais Bébé n'est pas de ceux qui me font la cour; il la fait à tout le monde; je le représente comme la machine qui coupe le sucre, il va toujours sans s'arrêter, il me parlait et si, par enchantement, je me changeais en la Polonaise, il parlerait sur le même ton, si, au lieu de la Polonaise, c'était Dina, il continuerait toujours etc. etc. - A-t-on jamais vu un pied pareil, mais c'est merveilleux ! (en vérité mon pied sous le pantalon semblait celui d'un enfant). Et il le baisa si bien qu'à travers le cuir je sentis ce baiser. Le pauvre petit Polonais détournait les yeux, mais ne s'en allait pas.
- Pourquoi n'avez-vous pas mis vos bottes, Mademoiselle ?
- J'aime mieux ces bottines, les bottes me grossissent le pied.
- Non, ce n'est pas possible, un pied comme le vôtre, allons donc, mais quel pied, et il le baisa encore trois fois. Je le laissais faire en souriant, puisqu'il le faisait sans pensée aucune, et que cela me faisait grand plaisir. C'est dommage que je ne suis pas mariée, je me ferais faire la cour par ce garçon, je l'approfondirais.
Il a un bon naturel, mais un enfant lui donnerait des manières, il les a trop libres et trop enfantines.
En ce moment arrive de Tanlay et me boutonne les gants. Je pars avec le baron, mais bientôt Dina me l'enlève, le Polonais vient:
- Mlle Marie, faisons la Promenade ensemble.
- Non, allez vers ceux à qui vous faites la cour.
- Non ?
- Non.
Dans quelques minutes, je l'appelle, il laisse là la princesse et accourt: - Maintenant je vous permets de m'accompagner. Et il m'accompagne. Mais il me dégoûte. Ce que je fais est pour satisfaire l'orgueil de ma mère. Au Barizart nous voyons Gambart et... Malézieux ! tous deux en blanc.
M. Gambart, M. Malézieux. Bonsoir !
Nous nous rangeons sur la même ligne, sept chevaux, c'est superbe ! et faisons notre entrée en ville. La musique joue, le pavé retentit, le monde se lève, les gamins crient ! De là dans l'allée du Morteau.
Je dis au comte:
- Je vous souhaite de passer votre examen.
- J'aimerais mieux que vous me souhaitiez autre chose.
- Quoi ?
- Faut-il le dire ?
- Il faut toujours dire (je savais ce qu'il dirait).
- Eh bien...
- Eh bien ? Je m'impatientais, attendre la déclaration d'un saligaud, fi !
Il me regarda dans les yeux et ses sales yeux brillaient.
- Vous me regarderez une heure que je ne vous comprendrais pas, dis-je sévèrement.
- C'est de vous plaire.
- Ah, eh bien, si c'est vrai allez vous mettre à genoux devant l'autre arbre et restez ainsi jusqu'à ce que vous verrez passer tous les chevaux et toutes les voitures. Ce qu'il fit.
- Je ne vous crois pas.
- Comment ?
- Vous êtes Polonais, etc. etc. etc. nous retournons.
- Oh ! vous ne pouvez comprendre mon moral, voyez le physique et c'est assez.
Selon ma demande, il fit mon portrait, on devine comment.
Devant notre maison encore un tumulte affreux, le Polonais m'aida à sauter de cheval, fort mal. Alors arrivent de Gericke et les autres.
- Qui vous a sali le chapeau ?
- C'est Monsieur qui ne sut pas m'aider, vous n'êtes pas venu, vous m'avez si bien aidé à monter.
- N'est-ce pas ?
Femme intrépide ! J'eus le courage d'aller après trois heures et demie de cheval au bal et de danser.
Tout le monde m'appelle Mlle Douchenka, c'est un charmant nom. J'oubliai de dire qu'en retournant j'ai chanté et Ladd se mit à chanter aussi. C'était adorable !
J'étais fatiguée, mais Gericke venait et disait: Douchenka, allons. Et j'allais, et par conséquent devais danser avec les autres aussi.