Vendredi, 10 juillet 1874
# Vendredi, 10 juillet 1874
[Dans la marge: Bas. veut dire Basilévitch.]
Le matin arrive d'abord le manteau de Dieulafait ensuite l'amazone tant attendue. Excepté le défaut ordinaire de tous mes corsages il n'y aura rien à retoucher.
Nous vîmes ou plutôt je vis Basilévitch allant retrouver Bébé à la fontaine. La froideur passe. A une heure nous nous rendons chez la marquise déjeuner. Elle donne très bien à manger et en abondance, à déjeuner il y avait dix plats.
J'étais passablement tranquille, mais les Polonais viennent et j'ai envie de fuir. Je pensais pourquoi je les déteste tant ! Ils sont bons, aimables, pas bêtes; mais je ne peux les supporter. Après, tout le monde s'en va au jardin, je me balance (il nous faut une balançoire à Nice) pour ne pas parler avec les Polonais jusqu'à en être toute étourdie et pâle. Puis je saisis Mme Davignon, la mère de la Joséphine, une petite bourgeoise d'ici, et vais me promener avec elle. J'ai abaissé ma conversation jusqu'à elle de sorte qu'elle n'eut point la peine de l'élever jusqu'à moi et se trouvait à son aise. En somme elle n'est pas bête et cause bien, chez elle.
Nous partons à quatre heures. Vraiment je trouve la marquise et le marquis surtout, charmants, charmants, si bons, s'il n'y avait pas les Polonais seulement !
De là tous ceux qui y étaient viennent chez nous. Mardi on fait un pique-nique au Barizart, et tout le monde se réunit chez nous de même. Ce sera bon fracas pour la bonne ville de Spa, vis-à-vis le bon Pouhon.
Je bois la moitié d'un pot à eau de lait et vais dîner pour la forme seulement. Dans le petit restaurant Laeken ce qu'ils donnent pour deux francs cinquante est merveilleux. Ces malheureux se ruinent.
Preuve que ce qu'ils servent est bon, c'est que je le mange
Body prétend que Bagatelle est un véritable et beau bull. Le chien de Haristoff est trop beau.
Je sors le soir avec maman, nous trouvons sous un arbre Basilévitch, Bébé et le mari. Trio charmant.
Sans plaisanterie Basilévitch est une honnête femme, elle [Ligne intercalée: 14 juillet. Je n'en sais rien.] est gaie, légère d'apparence, mais ses amoureux se plaignent de sa vertu, de Neufarge vint s'asseoir vis-à-vis, sous un autre arbre. Il posait.
Il y a un concert, auquel nous n'allons pas, mais restons sans musique aucune auprès du vide kiosque jusqu'à neuf heures et demie, de Bauche causait avec maman et Bébé se multipliait, entre moi, Basilévitch et Dina.
Sans honte aucune, il parlait de pantalon, de jupes, conseillait de nous habiller en homme et ainsi de monter à cheval.
- Non, ce serait bon pour une danseuse et ma mère ne le permettrait pas. Cela le calma un peu.
Voilà un homme bien, beau et noble, et qui est abîmé par ses manières brusques et dignes d'un officier russe.
Comme maman dit, il est extrêmement, (le mot qu'il dit toujours) gâté des dames et se conduit comme un enfant gâté. Au Pouhon en poussant mon tube il dit:
- Tenez, soufflez dedans.
Il a les façons des Durand et de Jeanne l'Indienne.
A neuf heures et demie nous allons au salon de lecture qui est plein, Basilévitch, Dina, la demoiselle polonaise ! Bébé et moi nous asseyons autour d'un jeu de dominos. Et je lui donne une leçon de russe, il sait dire: Je comprends, donnez-moi un bifteck, bonjour, bonne nuit, adieu, au revoir, sotte, Katenka, Douchenka, laissez-moi, vous m'ennuyez, imbécile et cochon.
On a ri tant que ceux qui lisaient ne devaient pas lire grand-chose. J'ai ri de bon cœur. Il est drôle, le baron, et lorsqu'il se baissait pour écrire on voyait ses cheveux jolis et bien arrangés. Il y a longtemps que je n'ai vu une gentille tête propre, si propre qu'on [Rayé: pourrait] l'embrasserait.
Je me prépare au grand scandale qui, j'en tremble, devra arriver un jour. C'est lorsqu'on lira mon journal. Aujourd'hui ma clef était chez Dina qui l'a trouvée, qui assure n'avoir point été curieuse. C'est une grande bêtise d'écrire ce qu'on pense. Cela me sert à vérifier si je change. Eh bien les principales, les idées fondamentales n'ont pas changé.
J'en suis bien aise.
Original turkey with note paper.
J'ai cette inscription toujours sous les yeux lorsque j'écris.
J'ai vu encore un chien, un saint-bernard jeune, et de toute beauté.
Nous nous approchâmes de son propriétaire, un Anglais, tant il était beau ce chien. Un chien comme ça c'est... c'est immense ! C'est un être humain presque, c'est un bonheur, un délice. Que ne donnerais-je pour un pareil chien ! Qui me trouvera un pareil chien !!! Je l'ai pris par la tête ! Quelle tête ! Quel chien ! Qui me trouvera un pareil chien ! Que ne donnerais-je pour un pareil chien.
Un pareil chien
Quel bien !
Quelle tête
Et cette tête !
Qui me trouvera un pareil chien ?
Un tel trésor, un tel bien !
Je donnerais tout ce que j'ai
Pour une pareille tête...
Ah ! la belle bête !
Evohé ! ce chien m'inspire.
Avec cela j'oubliais de dire ce que Gericke a fait dans la confiserie où nous entrâmes avant le Casino. J'ai jeté le tronc d'une poire après l'avoir rongée, et... et il le prit et mordit dedans !
Il fit encore mieux, il prit de sa main le bord de mon chapeau pour repousser en arrière, alors [Rayé: je le pris par la] j'arrêtai sa main sérieusement.
C'est un fou !
Rentrée je dis à maman :
- Tu sais ce que Gericke a fait, j'ai jeté une poire et il l'a mangée.
Un sourire de satisfaction passa sur les lèvres de maman:
- Aussi, c'est qu'un jeune homme court quand une jeune fille lui plaît.
Mais ce n'est pas cela, il le fit par nonchalance, oubli, bêtise.
[ Cancellé: Plus je vois les hommes, plus j'aime le duc de Hamilton.]