Bashkirtseff

Jeudi, 2 juillet 1874

Orig

# Jeudi, 2 juillet 1874

Il y a bal d'enfants devant le kiosque de l'allée.

Nous y allâmes (robe toile, chapeau Massa, bien). Déjà bon nombre de personnes était installé devant l'estrade, Mme Basilévitch n'arrivait pas, le petit laideron Gridano, un Roumain présenté à nous hier m'ennuyait en restant avec nous. J'allai avec Paul chercher Basilévitch [Rayé: et ses enfants ] Je la trouvai finissant sa toilette, nous revînmes avec les enfants, je tenais par la main la petite fille et Paul portait dans ses bras le bébé, un garçon de un an et demi.

Nous avons conduit ces intéressantes personnes en leur donnant à chacun un cavalier et une dame.

Je remarquai en ce moment un monsieur fadement beau, et à l'air méphistophélès qui me regardait, puis il vint saluer Basilévitch qui me le présenta, le chevalier de Neufarge. Fils bâtard d'un prince russe qui lui légua une grande fortune, que cette beauté gaspilla à moitié. Je revins avec Basilévitch et ce monsieur m'asseoir auprès des nôtres auquels la présentation fut répétée.

Ce monsieur a parlé très légèrement à Basilévitch, a joué encore plus légèrement sur les mots et dit que Spa était la piste d'entraînement de votre mari. Il est bien mis mais ce doit être un être neutre et une espèce de chevalier d'industrie. Mes suppositions se confirmèrent le soir, on en a tant mal parlé que Basilévitch était presque au désespoir de l'avoir présenté, et ne savait si elle devait danser avec lui, lui refuser c'est n'avoir plus le droit de danser avec d'autres.

Tout le monde dit qu'il a une mauvaise réputation, quand on demande quoi ? comment ? on garde le silence et Kirch ce soir en nous régalant de limonade dit à Basilévitch qu'il ne fallait pas demander quelle réputation il a. Ce monsieur choisit le moment où il régale, généralement pour cancaner.

Le soir Walitsky me conduisit jusqu'à l'allée où je restai avec Basilévitch, la princesse Eristoff (encore une née marchande; légère et veut se divorcer pour épouser un Body).

Je me trouve très mal entourée. Peu de temps après arrive le petit Polonais, se met à côté de moi et nous causons musique. Il est musicien (je crains de répéter ou de passer, car j'écris aujourd'hui samedi, tous les soirs quelque empêchement survenait).

Je ne le regarde jamais en face, pour faire apprécier lorsque je regarde. Je parle les yeux baissés ou fixés sur quelque point. Je refusai toutes les danses, et le comte ne dansait pas, tout en me disant qu'il adore la danse. Il me fit comprendre qu'il ne veut danser qu'avec moi. C'est très aimable, et je crois que ce garçon m'amusera, seulement il est si jeune, je n'aime pas les puppies.

Au bout du compte l'Anglais est encore le meilleur (quand on a pas de poisson, l'écrevisse est un poisson).

Ensuite la conversation prit une tournure fine:

- Cependant Pygmalion anima la statue dis-je.

- Oui, mais je n'aime [pas] la beauté des statues, j'aime la beauté vivante, qui pense, qui sent, j'aime la beauté spirituelle, curieuse (appuyé et me regardant, je souris, il ne fallait pas).

M. de Neufarge posait à l'entrée.