Bashkirtseff

Dimanche, 28 juin 1874

Orig

# Dimanche, 28 juin 1874

"Le duc et la duchesse de Hamilton sont arrivés en Angleterre venant d'Orient" (Derby) tout comme si on disait que la pouliche de M. Lefèvre est arrivée à Epsom, après le Grand Prix. Cette belle annonce me rappela à moi, et j'ai envie de pleurer.

Mais nous n'étions pas encore vêtues, lorsqu'on frappa à la porte. - Qui est là ? - C'est moi, ouvrez.

- Mais nous ne sommes pas prêtes.

- Ça ne fait rien, ouvrez, je ne regarderai pas.

On ouvrit et Mme Basilévitch entra, sans cérémonie, se mit sur le lit de maman encore couchée. Faites, faites. Je serai avec maman, pendant que vous habillerez.

Ces façons sont très bien aux eaux, je n'en suis pas fâchée. Je m'habillai, elle s'en alla, je descendis prendre du thé, je trouvai là cette famille anglaise Macainne, le frère fait l'admiration de Mme Basilévitch. C'est un homme grand, mais ordinaire et paysan. J'allai avec Paul au Casino jouer au billard, en sortant je vis Mme Basilévitch déjà avec maman et Dina, nous nous promenâmes ensemble jusqu'à l'arrivée de la voiture qui devait nous conduire au château d'Alsa, chez M. Gambart. Les jardins sont très bien arrangées et beaux parce que dans ce climat la verdure est verte, l'herbe est soyeuse. La maison est [Rayé: pleine] remplie de tableaux, il n'y a rien d'étonnant puisque ce monsieur en fait commerce et à ce qu'il paraît, et à ce qu'il dit, gagne beaucoup en les revendant.

Au premier abord j'ai cru qu'il parlait en amateur et connaisseur, mais bientôt je vis qu'il parlait comme ferait un marchand de sa marchandise. A dîner nous fûmes servis par deux femmes anglaises. Excepté nous il y avait un M. Body (du pays) et un Anglais dont j'oublie le nom au moment de l'écrire; le voici, Wheelwright. Ce dîner à une heure était assez bête. M. Gambart servait des portions tellement ridiculement microscopiques qu'il y en avait pour une demi-bouchée.

Après j'allai ramer sur un lac devant le château, trois personnes, Dina, Paul et le fils de la soit-disant pupille de M. Gambart qui était sa maîtresse. J'ai ramé à deux rames et conduit le bateau bien, et mérité les approbations de cet anglais Wheel, etc. Un homme qui n'a pas un os qui ne soit brisé en montant des chevaux. Il était aux courses de Bade mais jamais à Bade; tout le monde, conduit par Gambart, a monté la montagne, je parlais anglais, causant avec M. Wheelwright.

Ensuite on a visité la vacherie, la cochonnerie, les jardins; on a jeté le disque, joué aux boules. Mais vient la pluie on se dispose dans la galerie du château et pendant une heure entière j'étais là à écouter la conversation de M. Gambart - le tonnerre est à quinze lieues de nous, disait-il, ou des choses encore plus insignifiantes.

[Dans la marge: H. G. t. D. o. H ]

Je m'embêtais.

Nous nous en allâmes à quatre heures et demie, je ressortis tout de suite, Henriette (de l'hôtel) m'a conduite dans une boutique où j'achetai un chapeau flamand de paysanne. Il pleut à verse.

Je dînai après le dîner de Gambart (hier maman alla seule au bal).

Maman et Cie allèrent au Casino; je reste à la maison, finis mon chapeau, le deuxième volume de "Bragelonne".

Maman a inventé comme moi, je dis poussière et elle nomme tous les hommes à Spa jouk [bourdon]. Walitsky toutes les fois que passe un homme se met à bourdonner en finissant par jouk ! Souvent il arrête une paysanne et demande : Petit bourdon, ne savez-vous pas où il y a un "jouk" ?.

Nous mourons de rire. Et ce soir en reconduisant maman jusqu'à Mme Basilévitch qui a mal à la tête, un monsieur occupait tout le trottoir avec son parapluie ouvert.

- "Jouk", donne-nous le passage.

- Ah pardon, Madame ! Je ris comme une folle.

Ecrit c'est bête, mais en réalité nous rions à n'en plus finir.