Bashkirtseff

Lundi, 29 juin 1874

Orig

# Lundi, 29 juin 1874

[Rayé: A la prom. le matin] Nous avons fait le tour de tous les magasins avec les peintures de Spa. J'ai acheté quantité de choses pour donner. Nous étions chez un cordonnier lorsque passe Mme Basilévitch, Dina l'appela: Eh bien je vous ai cherchées, dit-elle. Depuis nous ne nous séparâmes plus de la journée. A la musique nous avons fait bataclan avec Walitsky, Paul et le directeur du Casino, un M. Kirch qui est toujours un homme utile ici. De plus on dit qu'il est bien élevé et a de l'esprit.

A quatre heures et demie nous allons tous (robe brune Worth, chapeau noir, bien) à la gare voir si personne ne vient. Je me trouve assez bien ici parce que je règne, tout le reste est une telle poussière. Régner sur cela n'est pas beaucoup, mais mieux que rien.

Paul est amoureux de Basilévitch, elle le sait. Il est drôle. Cette pauvre Basilévitch soupire après des cavaliers; cet Anglais lui plaît, mais il est un morceau de bois et ne la cherche pas; elle rage.

Maman s'esquiva et nous allâmes jouer au billard, puis prendre de l'eau minérale, ensuite je dînai. Le soir à neuf heures, nous quatre, moi, Dina, Paul et Walitsky allons au Casino, on danse; à droite cet Anglais avec sa sœur, à gauche Mmes Basilévitch, Viviani. Nous nous plaçons avec elles premièrement au deuxième rang derrière les colonnes puis au premier. Basilévitch voulait regarder son beau. Elle est si fâchée qu'elle nous déclara qu'elle le prend en aversion. Dina inventa comme si il avait dit qu'elle lui plaisait beaucoup mais qu'il persévérerait une semaine et tout passera, que c'est pour cela qu'il est si froid etc. Elle s'anima à cette histoire, me prit le bras et me pria de la lui raconter.

Oh ! les femmes.

Décidément nous formons bataclan.

Basilévitch n'a pas dansé avec Paul, il est chagrin, mais en passant elle lui dit:

- Vous boudez, et bien ! ajouta-t-elle en [Rayé: lui donnant] approchant sa main gantée de ses lèvres, sur laquelle il déposa après un instant d'hésitation un baiser.

Elle est coquette, j'étudie un peu d'après elle, pour plus tard. Un monsieur me demanda à danser, je refusai, naturellement. Après j'ai su qu'il avait demandé s'il pouvait inviter sans avoir été présenté, on lui dit "essayez".

J'ai plané sur toutes ces poussières. Viviani veut organiser un spectacle. Demain nous dînons chez elle.

Le bal fini, nous jouons au billard, trois contre trois: moi, Walitsky, Kirch, Basilévitch, Dina et Paul.

Ça a été assez animé. Nous avec Basilévitch étions les seuls et uniques, le reste n'en parlons pas. Ce Kirch est utile au Casino, et pour toutes les choses on peut s'adresser à lui, c'est commode.

Je me plains comme Basilévitch du manque de messieurs, il n'y en a pas un seul, c'est désolant. Elle me disait aujourd'hui qu'il n'y en pas un, qu'elle s'ennuie. Elle a raison. Elle le dit ouvertement elle dit qu'elle ne peut se passer d'adorateurs et qu'il faut qu'on lui fasse la cour. Ces femmes-là sont les plus innocentes.

Demain elle vient chez nous, pour aller ensemble chez la marquise. S'il venait quelqu'un d'intéressant, mais il y aura des gens du pays, des savez-vous ? et des n'est-ce pas. Miséréré.

- Pourquoi ne dansez-vous pas ? me disait cent fois Viviani, à la fin je lui dis:

- A vous dire vrai, je ne danse pas parce que je ne sais pas avec qui je danse et je n'aime pas cela.

Il faut animer ce pauvre Spa, nous y songerons et en parlerons demain chez la marquise. Cette chère femme, d'après les paroles de Mme de Mouzay, parla de moi à ce directeur qui s'attend à voir une merveille dans chacune de mes paroles. Quand on est préparé comme cela, ce n'est pas difficile d'avoir de l'esprit. Je crois que je fais de la modestie. Tout de même je dois tant de remerciements à cette bonne Mme de Mouzay, elle dit tant de bien de moi.