Bashkirtseff

Dimanche, 19 avril 1874

Orig

# Dimanche, 19 avril 1874

Les Howard à l'église invited us for to-morrow evening at a dancing-party, for children (robe neuve et chapeau). I asked several times mama to go to Lewin, there is no time to loose for Tuesday is the day, perhaps if no go, to-morrow will be too late.

They consent to go to-morow.

A gentleman, Mr Tchemichoff, was introduced yesterday to maman, to-day he came to call.

There is a very bad story about him. His first wife poisoned herself, some say was poisoned and he afterwards married the lady who caused the death of his wife by taking him from her. From despair she died.

They say no woman, can resist him, Pshaw ! nonsense. He is an old dog with almost rude manners, the genre of Sacha Lautrec that is the best description of his person.

Nous allons avec lui à l'exposition mais il y a trop de monde, on ne paye rien aujourd'hui. Puis des glaces au London House.

Il a dit poussière dans le même sens que moi, il sait ce que c'est. J'étais étonnée et je rougis. Lorsque nous avons visité ensemble 55 il exprima exactement les mêmes idées que moi sur les cyprès et tout. Eh bien nous nous rencontrerons une autre fois, dit-il.

Il pense tout à fait comme moi, il comprend les paroles de la bouche, je suis étonnée. Sono meravigliata.

[Rayé :Le soir je me fâche, il était convenu d'aller au concours des orphéons.]

(Une histoire que je peux oublier. M. Walitsky aura un duel avec un autre homme, pour lui avoir donné une claque sur la main).

J'étais chez les Patton. Nathalie me montra la maison puis je me suis ennuyée au jardin.

Le soir je me fâche. En peu de mots voilà: il était convenu d'aller à huit heures au concours des orphéons sur la Promenade, les illuminations la nuit c'est beau. Avant nous entrons chez la Musette, nous y trouvons Viviani qui nous invite demain à Beaulieu. Maman a parfois des ★sorties^ comme Olga Anitchkoff, eh bien, sans dire mot elle s'en alla et nous restâmes jusqu'à dix heures. A la fin surtout quand je me suis retrouvée dans la rue, je devins furieuse.

Auguste nous dit que madame est au London House, en effet we find her there with Walitsky, Georges and Tchernichoff. I was furious and I said a few words to show it to her.

Je n'aurais rien dit si elle allait au London House souper, dîner etc. je ne demande pas à y aller. Je ne veux pas y aller. Ce qui me fâche c'est qu'elle fait comme Olga, comme une enragée, comme une folle !

C'est encore le manque de connaissances qui cause cela; si on voyait plus souvent des hommes on y serait habitué et on saurait se conduire toujours également et pas par bonds et cascades.

Ce monsieur est un vrai Lautrec, il fait de l'esprit comme moi, mais il parle mal français.

J'étais furieuse non parce que je ne suis pas allée au jardin public mais pour cette conduite saccadée et agacement fol. Cela produit sur moi le même effet que lorsque je parle et on ne répond pas, comme font maman, ma tante, Walitsky et Paul; tutta quella bella brigata di cherubini. Il n'y a rien au monde qui me mette en colere comme cela.

Je dois écrire un ★galimatias^ parce que je rage. Celui qui sent comme moi me comprendra.

M. Lautrec me reconduisit moi et Dina à la voiture, (nous partîmes en deux groupes), il nous retient quelques minutes encore, parle avec une franchise affectée mais très amicalement, si le mot est bon, me donne plusieurs fois la main, me veut forcer à avouer que j'étais capricieuse quand je refusais son orangeade et nous nous quittons bons camarades. Toutes les fois qu'il me donnait la main je lui donnais le cinquième, le quatrième et le troisième doigt de ma main gauche. Il parla tant et tellement que je le pris pour une vieille connaissance et je lui dis en lui tapant doucement sur la main: Oui, oui en bons camarades, au revoir, à Paris. Il est tout à fait comme moi, c'est dommage que c'est un homme; autrement je serais son amie. Mais je le peux très bien, il est vieux et marié et pas du tout de mon goût. Ces manières ne me surprennent pas, puisqu'il est exactement comme moi; il se teint les cheveux et ressemble aux vieux Emile et à ★Zenkovski *.

On ne voit plus le gentil garçon qui me plaît tant, quel dommage. Il me plaît beaucoup, le jeune Emile. Je ne m'étonne pas que Lautrec n° 2 plaise aux femmes. Maman même se laisse prendre.

Est-ce que je plairai aux hommes, puisque je suis comme lui ?

Il est un bon camarade et je l'aimerais si je ne le voyais pas qu il fait un peu la cour à ma mère. Cependant il est un grand fanfaron et d une simplicité affectée, mais moi seule je remarque cette affectation, les autres prennent cela pour du vrai.

Mais je me connais et je le connais; je suis mieux que lui.

Lewin ne se sépare pas de Clémentine, elle est partout à son bras; ils doivent être fiancés, autrement c'est inexplicable.

Je m'ennuyais aux fenêtres de Mme de Mouzay mais /7 vint et ces fenêtres, je ne voulus plus les quitter. Je regardais en bas la vile multitude des hommes et en haut la vile multitude des astres; il n'y a que lui, plus il devient aérien plus je l'adore, car il y a longtemps que j'ai cessé de l'aimer, je l'adore. Lorsque je pense à lui je deviens si douce, si calme, si bonne, je ne suis plus de ce monde lorsque je suis avec lui.

Le temps passe, il s'éloigne et je l'aime. Le verrai-je un jour, comment, quand, où ? Aurai-je l'occasion de lui dire combien je l'ai aimé, combien il m'a été cher ?

Comment le verrai-je ? Oh ! n'importe comment, pourvu que je le voie, que je lui parle; non, il me semble que je ne pourrai pas parler.

Peut-être en le voyant dans dix ans je le trouverai grotesque et indigne, mais en attendant que le ciel le protège, qu'il soit heureux, et que je le revoie, voilà quels sont mes désirs.

Et si... un jour, oui... oh non !