Mardi, 14 avril 1874
# Mardi, 14 avril 1874
Encore une mort, M. Fedoroff est passé de vie à trépas hier soir en jouant aux cartes chez M. Patton. Quelle surprise pour les maîtres de la maison. Il est mort d'un anévrisme. Comme on meurt cette année et on se marie aussi.
Il pleut.
Stiopa fit une scène à sa femme, une scène grossière, barbare, impossible, enragée, sauvage, parce qu'elle avait acheté quelques bagatelles en marbre et que ça augmentait le poids des malles. Peu s'en fallut qu'il ne frappât cette pauvre petite femme qui pleurait. C'était révoltant et comique en même temps d'entendre la grosse voix de ce monstre sauvage, et puis celle de Machenka, plaintive et larmoyante. On entendait bien qu'il se sentait obéi et craint. Ce monstre ! Que Dieu et les anges du paradis me gardent d'un mari russe et propriétaire. Quelle grossièreté ! quelle rudesse, quelle sauvagerie, quelle barbarie, quelles ★manières de moujik* ! Seigneur Dieu !
Avant tout grand seigneur et bien élevé.
Tout de suite Miloradovitch me vint à l'esprit, pendant que j'entendais et écoutais les cris et les trépignements de pieds*.
Lui aussi c'est un monstre effrayant Mon Dieu, garde-moi d'un tel mari.
Je ne veux qu'un duc anglais. Cette nationalité et ce titre adoré me semblent une complète garantie contre les horreurs dont j'ai si peur.
Je suis entrée pour quelques minutes dans la maison mortuaire pour porter la mousseline qu'on me pria d'acheter. Dans ce journal je n'avais pas encore vu de morts.
Ce matin j'ai fait un discours à maman, plein de dignité et de preuves. Un discours sur notre vie. Souvent je désespère. Comme je souffre de vivre ainsi.
Hier en retournant de Monte-Carlo, à la gare de Nice [Rayé: un événement] une aventure très désagréable arriva à maman. Dans la sortie un jeune homme allemand, parfaitement mis et [Rayé: d'une] gentilhomme d'apparence mais un peu gris, vint vers maman les bras ouverts en disant "ma chère". Elle n'eut que le temps de se jeter en arrière. Je crois même qu'il l'a touchée car elle ne m'a rien dit de cette affaire et quand j'ai demandé si il l'a touchée on ne répondait pas directement. Alors Stiopa et M. Anitchkoff qui étaient tout près le saisirent, le traînèrent hors de la sortie, à l'air. M. Anitchkoff, ce bonhomme de soixante-dix ans, s'enflamma comme à dix-sept et le poussait tout le temps [Rayé: en lui donnant] par des coups de poings dans la nuque.
Stiopa [Rayé: alors] cria Walitsky ! pour l'envoyer vers maman, celui-ci accourut, alors, oubliant maman, Stiopa lui dit: ★Frappe-le, ce coquin * et Walitsky, sans hésiter un instant, lui donna des beaux coups dans la figure et partout. Tous les trois le battirent jusqu'au sang.
Stiopa assure que s'il vivra encore cent ans, il n'attaquera plus jamais une dame sans la connaître.
Il méritait d'étre ainsi traité, mais si c'est un gentilhomme je le plains, car il est plus que mort.
Pauvre homme !