Lundi, 6 avril 1874
# Lundi, 6 avril 1874
Quel ravissant petit cheval montait le prince de Wittgenstein ! Un cheval comme je n'ai jamais vu, petit, très large, plat. Un homme aussi grand que Wittgenstein devrait être ridicule car ses pieds presque touchaient la terre, mais pas du tout il était seulement bien. Comme nous nous sommes tournées toutes, Machenka, Dina, Collignon et moi, Auguste se tourna aussi et dit qu'il y a trois ans ce même monsieur montait un âne. En entendant cela je me sens toute transportée et enthousiasmée et je déclare à haute voix que pour une pareille extravagance je l'adore. Collignon est avec nous, elle est venue et je l'ai prise avec moi en sortant (robe bleue, cheveux bas, bien), j'ai marché avec elle, nous étions à la villa et puis nous prîmes la voiture.
Il fait un temps magnifique, soleil après pluie je n'dis qu'ça ! La mer est encore orageuse, peu de soleil.
Mais ce cheval, quelle race, quelle espèce, d'où vient-il ? Quelle extravagance de monter un âne à la Promenade, j'en suis charmée et étourdie. Mais il est adorable Wittgenstein, ce n'est pas en vain que j'ai dit à haute voix que je l'adore.
Il a un air calme comme Mlle de Galve, un air mystérieux, enfantin et candide, [Rayé: pas quand il est ivre par exemple.]
Cette manière de monter un cheval si étrange m'a surprise et étonnée. Je n'aurais jamais attendu une pareille chose de cet homme, je m'étonne surtout de le voir à cheval. En général voir un homme à cheval m'étonne, ils sont si efféminés et rejettent au loin ce noble amusement pour les cartes et les boissons.
Il fait frais, je vis.
Je rentre toute drôle, je voudrais rire et pleurer. J'aime tant me sentir comme cela, ce n'est pas nouveau, mais toujours amusant et agréable.
Je ne peux pas écrire ce soir, je cherche les expressions qui ne veulent pas venir.
Comme je suis folle ! parce que cet homme a monté un petit cheval extraordinaire je fais une révolution. Certes si Wittgenstein ne me plaît pas, il m'occupe et m'amuse beaucoup.
Quand je me souviens de l'autre homme qui n'a rien de cet air maussade et timide, mais au contraire est grand, beau, noble, à la figure ouverte, brillante, lumineuse, éclatante. Quand je pense à son air majestueux, exigeant, méchant même cruel et en même temps doux et childish tout disparaît, tout s'efface et il apparaît seul s'élevant brillant comme le soleil au-dessus des nues, de la fumée et de la poussière humaine "de la vile multitude".
Tout en lui est brillant et lumineux, par sa présence il éclaire l'endroit où il se trouve. Il est tout différent des autres hommes, ce demi-dieu Hamilton. Son nom même est extraordinaire, en Russie encore j'entendais ce nom et j'y attachais une attention particulière. Toujours ce nom m'a frappée et m'a plu, comme à présent le nom de Bute du premier moment il me plut et je le trouve extraordinaire et fascinant. Bute !
Le prince de Wittgenstein par sa cavalcade au pas sur un presque mulet, m'a conduit à le comparer au duc de Hamilton, et m'a presque tourné la tête. Ce n'est pas difficile, une tête comme la mienne. Je suis convaincue maintenant que je suis peut-être la plus folle et la plus extraordinaire fille du monde. Je me suis prescrit certaines limites, de sorte que ce n'est pas dangereux.
Renard était perdue, mais heureusement Stiopa l'a retrouvé, papa mourrait si cet animal disparaissait.