Bashkirtseff

Dimanche, 29 mars 1874

Orig

# Dimanche, 29 mars 1874

Lentille abominable

Anguille détestable

Misérable créature

Bécasse, âne de nature.

Empoulé, [sic], satisfait

Rayonnant, mal fait

Tel est cet Apollon fané

Il possède un long nez

Et voilà tel qu'il est.

Cela vaut un peu mieux. Je dors jusqu'à onze heures et demie puis nous jouons, puis je sors, il fait chaud. L'idée me vient de monter à cheval, je commande les chevaux, je préviens Paul, je mange une glace pour avoir froid et nous voilà à cheval. Le public est presque entièrement niçois. J'ai vu Fedus dans le dos, mais lui m'a bien vue, j'ignore comment il m'a regardée. Ce matin je me suis plainte à maman [de] Lambertye, mais très sérieusement. Je suis résolue de le fixer d'un air impertinent la première fois qu'il osera me regarder.

Presque toutes les fois que je suis à cheval je rencontre le prince de Wittgenstein. Il était seul et s'approcha de l'extrémité du boulevard pour nous voir passer. Je ne l'ai pas regardé, je ne regarde personne en face, j'ai peur de rencontrer un impertinent comme Fedus. Mais, lui, je ne l'ai jamais regardé, c'est lui qui me regarde. Et même il y a un an Mlle Collignon me grondait, disant que je me fais regarder par tous les hommes, Fedus en particulier. Et il riait, le butor, le vilain ! Et pourquoi cela je voudrais bien savoir, même s'il y avait une raison on ne se moque pas ainsi des gens, on n'a pas le courage de leur rire au nez, d'être aussi malhonnête !

Il fait chaud et, en arrivant dans ma chambre, j'ai failli me trouver mal, je n'avais pas de force pour me déshabiller, je ne pouvais pas respirer, avec grand peine j'ai ôté mes affaires et je me suis jetée dans un fauteuil près de la fenêtre, l'air frais m'a fait du bien. Je pensais que je vais mourir tant j'étais mal, mais j'ai ouvert la fenêtre, il était presque soir et l'air m'a ranimée.

Je descends dîner en déshabillé, je n'avais pas le courage de m'habiller.