Lundi, 23 mars 1874
# Lundi, 23 mars 1874
Je viens tous les matins chez maman et ma tante préparer notre départ de Nice.
Tous sont encore ici et si Lambertye est parti ça ne fait rien. Maman, par plaisanterie tu dis des bêtises; je ne connais pas Lambertye
Je refuse mon costume gris en payant la moitié.
Il fait frais surtout quand je sors (robe bleue, cheveux sur la nuque et sur le dos, bien), Mlle Collignon est avec nous, moi et Machenka, mais nous la laissons au port.
Quelques gouttes de pluie tombent comme une malheureuse plante de culture qu'on arrose et qui se soulève, je reviens à la vie.
L'air conserve sa fraîcheur; il y a quelques personnes à la Promenade, Fedus, clair comme le printemps est avec le bossu. Il ne rit pas tant mais il regarde plus convenablement, puis nous voyons Wittgenstein avec sa femme en très belle toilette. Je me suis détournée car je ne voulais pas que cette femme voie que je rougis.
Nous les rencontrâmes trois fois. C'est un malheur de rougir ainsi pour tous les passants. Si encore Wittgenstein était seul mais lorsqu'il est avec sa femme je suis sûre de devenir rouge. Elle me fait l'effet d'être très malade, mala-de. Quand elle marche, il me semble qu'elle souffre et qu'un mouvement de trop la mettrait par terre.
Ce matin les gants sont arrivés et me vont très bien. Je suis au désespoir pour mon costume gris. Maintenant je reste sans robe, tout ce qui se fait est pour le mieux, cette robe serait une espèce d'imitation des Galve et je veux pas imiter.
Je m'en fais une en foulard écru, presque blanc.
A dîner maman comme pour m'engager de rester à Nice dit en riant:
- Ici les pantalons de cuir Lambertye ne sont pas partis, je l'ai vu aujourd'hui et il reste encore un mois et demi.
Cette fois je fis semblant d'être en colère:
- Maman, s'il te plaît, arrête avec Lambertye, je ne connais pas Lambertye, mais avec ces plaisanteries stupides on donne à tous le droit de plaisanter et cela se termine par le fait que je rougis à cause de chaque valet ! Je dois faire la grimace dans la crainte de rougir; j'ai peur en me mettant à table pour le dîner de rougir au nom de n'importe quel valet !
Ceci est parfaitement vrai.
J'ai peur d'entrer dans la chambre où est tout le monde de peur de rougir. C'est un vrai malheur.
Je vais tâcher en m'endormant d'inventer une robe.
[Dans la marge: Comme j'allais wind up mon réveil, je m'aperçois qu'il est cassé. Les aiguilles tombent. J'ai pris le vieux et cela m'a prit une demi-heure pour arranger, faire sonner, vérifier. J'en ai trois devant moi. Je ne sais pas si je serais réveillée demain.]