Samedi, 21 mars 1874
# Samedi, 21 mars 1874
Je viens de me livrer à une danse folle en chemise devant le trumeau, et puis, et puis... le cordon de la chemise se cassa et elle tomba, mais pour un misérable cordon je ne me suis pas interrompue et j'ai continué à gorge déployée. Je ferais une bonne danseuse surtout pour une danse vive, animée. Il est dix heures, il y a un quart d'heure que Machenka m'a quittée, nous avons longtemps bavardé pendant que je me coiffais puis je m'assis par terre sur le drap que Joséphine a déployé devant la glace (pour ne pas salir l'amazone, demain je monte) et j'écoutais ses récits de leur société, de leurs bals, de leurs bataclans, car ils en ont un; seulement il a un autre nom, je trouve qu'ils s'amusent comme des bienheureux. Elle m'a raconté qu'un jour elles allèrent, Machenka et Mme Hamsley, en voiture découverte avec un monsieur qui tout le temps joua du violon, le voyage dura quatre heures. Enfin ils ont tout en petit et en laid, sans doute, mais tout, tout, tout ! Ensuite elle me raconta comment elle s'est mariée.
Je perds depuis trois jours à la roulette, une petite roulette domestique. Ça m'ennuie.
Je suis sortie pour une demi-heure que j'ai passée à la villa où ils sont tous avec Biasini. Le plan est presque arrêté. Pourquoi on ne voit plus Fedus ?
Le baron est parti. La princesse et le Bec sont en deuil. Il y avait quelques personnes au Détroit.
Cette détestable Rosalie Léon se promène en coupé avec une petite fille de cinq à six ans. Elle est laide et vieille et à un air pincé et la face couverte de taches de rousseur.
[Dans la marge: J'ai deux nouvelles adorations :
- I ° les chiens communs.
2° Paris. Je sens un plaisir extrême à en nommer les rues, les places etc.] L'Immensus ne se montre pas, hier cependant je le vis à pied, tout rouge. Sa femme m'est antipathique.
Je joue encore avant dîner pour ne pas jouer avec ce vilain, cet Abrial. Il n'est pas mon semblable, lorsque j'aurai une affaire au tribunal je l'appellerai.
Pendant toutes mes leçons au lieu de les écouter je pensais à lui et le voyais sur les marches des terrasses qu'on construira à 55, sur l'allée des cyprès.
- Il fait chaud et je ne suis plus la même, j'aime le froid. Mon teint est devenu foncé et mes joues brûlent sans cesse, mais ensuite je suis pâle.
Le soir je respire et, ce soir en particulier, je suis sortie sur la terrasse et je me suis promenée, admirant la nouvelle lune, la fraîcheur de la nuit et les étoiles. Il me semblait qu'il n'y a rien de plus beau que la nuit mais le matin au lever du soleil je pensais la même chose du matin.
J'aime le matin et le soir, l'après-midi me fatigue, en été bien entendu. Je ne puis penser sans enthousiasme aux matins à Baden-Baden. Ces arbres magnifiques, ces gazons, ces ruisseaux, ces petits ponts. Impossible de donner une idée de toutes ces beautés romanesques et élégantes, et soignées en même temps. Ceux qui connaissent le matin à Bade n'ont pas besoin qu'on le leur décrive, et pour moi je me sens incapable d'en donner la moindre idée. Je sais seulement admirer, comprendre et sentir.