Vendredi, 13 mars 1874
# Vendredi, 13 mars 1874
Hier j'ai vu Dady et Brady, ils me reconnurent.
Il fait aussi beau qu'hier. Je suis sortie seule et tout le temps j'étais seule, c'est vendredi. La réception commença par la visite du baron P.S.C. J'étudiais mon piano, pendant qu'il était chez nous je faisais ma toilette pour ne pas perdre le temps (robe bleue, chapeau noir, bien ).
J'étais dans plusieurs magasins, puis chez Dalgoutte prendre des billets pour le concert de demain: (Planté et Sivari). Je reconduis maman, ma tante etc. à la gare à cinq heures (mouchoir blanc) tout ce que je mets devient gracieux et élégant. Vers le soir seulement je prends Bête. On nous mettra un canapé je ne sais pas si ce sera bien.
Le soir je joue avec ma chance habituelle. Lorsque je m'approche de la table Dina abandonne la banque à Paul qui est plus courageux. J'ai fait sauter la banque, mais Machenka me pria de continuer car Paul n'avait plus le sou, et, par complaisance, j'ai perdu, mais toujours emportant trois francs de gain. Cela suffit pour mes violettes.
A propos l'idée de ma dot m'amuse; la villa 55 m'appartient, avec les meubles elle vaudra trois cent mille francs excepté cela maman reçoit un de ces jours vingt mille roubles, soixante-dix mille francs donc, vingt mille francs seront dépensés et cinquante mille mis dans la banque pour moi.
Donc, ce que je possède maintenant et ce qui est à moi, à moi seule, sans compter les propriétés que j'espère recevoir de ma tante (et il y en a des propriétés !) de maman etc. etc. Car on se rappelle ma tante a fait un testament presque tout en ma faveur, mais cela plus tard; comptons donc, trois cent mille francs de la villa et cinquante mille francs dans la banque, en tout trois cent cinquante mille francs. C'est une assez jolie dot, cela fait dix-sept mille cinq cents francs de rente, ce n'est pas assez pour mes seules toilettes, lorsque je serai mariée. Mais ma tante a bien trente mille roubles de rente et cela fait cent mille francs, additionnons: - cent dix-sept mille cinq cents francs, c'est assez pour mes toilettes même lorsque je serai mariée.
Je m'ennuie et je ne me sens pas à l'aise.
Tout passera comme un rêve, tout arrive et le spleen mauvais brûle le cœur !
C'est affreux à dire, mais je dirai. Il me semble que quelqu'un mourra dans la maison, non, c'est trop affreux !
D'où vient que mon cœur frémit d'un saint effroi ! Est-ce l'esprit divin qui s'empare de moi ? C'est lui-même: Il parle, il m'échauffe, mes yeux s'ouvrent et les siècles obscurs devant moi se découvrent. Les glaces brisées et le rêve où j'ai perdu une dent, tout est expliqué par la mort du frère de Dina. Tout de même comme on peut croire aux bêtises ! Comme elles sont vraies et surprenantes.
Cette nuit encore j'ai rêvé que je mangeais des gâteaux tout chauds et d'un goût charmant, ils étaient aux Howard et on m'a dit qu'ils venaient de chez Fai ou Fay, quelque part près ou dans l'avenue de la Gare.
Le matin j'ai demandé à maman si ce Fai ou Fay existe. Eh bien ! Il existe vraiment à l'avenue de la Gare et c'est le meilleur pâtissier et confiseur.
Comment ne serai-je pas superstitieuse ?
Et comme ces superstitions et ces connaissance d'avance du malheur me rendront malheureuse !
On peut se moquer de moi, moi aussi je me moquais avant d'avoir éprouvé.
Je voudrais que ce fut demain pour raconter mes bêtises