Dimanche, 1er mars 1874
# Dimanche, 1er mars 1874
Nous arrivons à l'église un peu tard (robe brune, chapeau noir, je l'ai acheté à Dina, bien ). Près de l'entrée je passe Woerman qui dit - vaut mieux tard que jamais - oui - Le prince n'est pas loin, il regarde tout à fait comme Chilovski, mais il est grand et porte une barbe courte. La mère Labanoff arrive presque à la fin, sautillant comme toujours. Je suis seule avec maman, nous passons à la Promenade puis à la maison. Paul va chez la princesse Souvoroff, elle a prié maman hier de l'envoyer chercher les billets pour le concert au profit des Samaritaines à Valrose. Nous prenons ma tante et nous allons encore à la Promenade. En passant 55, on a dit qu'on voudrait bien qu'il nous restât, qu'on serait très bien, que cette villa est très jolie etc.
Maman, au moins si nous étions admis dans la société de Nice et que... et de grosses larmes silencieuses coulèrent de mes yeux. Maman sent que j'ai raison, ma tante aussi c'est pour cela qu'elles me martyrisèrent jusqu'à leur départ pour Monaco à cinq heures.
Nous allons à l'hôtel Chauvain voir les tableaux d'Aïvazowsky, l'entrée un franc au profit des pauvres. Les effets de la lumière, l'eau, les vagues, les brouillards sont d'une finesse, d'un naturel, d'une transparence surprenants.
La princesse Souvoroff avec sa fille qui est assez laide, l'Anglaise, les petits Bravura, le prince et le comte (un comte Arnim, Prussien, son bon ami selon les méchantes langues) entrent, elle s'approche de maman qui est assise. Elle est belle, c'est positif.
Je voulais attendre les Howard qui voulaient venir voir les tableaux mais à deux heures et demie nous partons. Tout le temps pendant la promenade ma tante répondait à des reproches que je ne faisais pas, comme d'habitude, enfin. On me martyrisait. J'avais l'imprudence de laisser échapper ces mots si au moins nous à Nice etc. et je n'avais plus de repos. Tout le temps on répondait à mes reproches imaginés, on me disait d'aller vivre avec les Tutcheff comme toujours en un mot. Je me faisais force pour retenir les larmes qui veulent couler même maintenant quand j'écris.
Je suis bien malheureuse ! Comme ils me tourmentent.
C'est notre vie qui me tourmente qui me mange, qui me tue.
J'étais un peu pâle mais très bien.
Alors pour me mettre hors de moi ma tante commença à dire que j'ai dit des choses que je n'ai jamais dites, comme toujours dans ces conversations.
Mais laissons ces sujets alarmants. Un pari adorable vient d'être fait entre Audiffret et je sais quel autre, que le premier devait porter Prodgers sur ses épaules le long de toute la Promenade. Il l'a fait. Prodgers ne devait pas bouger, il tomba et n'osa bouger mais resta comme il était tombé jusqu'à ce que Emile d'Audiffret ne [sic] l'eut rechargé sur ses épaules. C'est surprenant et adorable. Je les adore tous les deux à cause de ce pari comme j'adore.
Il y a peu de monde, on ne voit personne de la société toujours des poussières rien d'autre.
Est-ce que tout le monde est parti, ce serait un peu tôt pour la fin de février. Cette saison a été étrange, on ne se réunissait pas régulièrement à la Promenade comme avant. Je ne parle pas des bataclans. Il n'y en avait pas. Tout l'hiver est passé et j'attends encore l'hiver tant il eut l'air d'un commencement de saison, d'un prélude. Je laisse, toute misérable,