Mercredi, 18 février 1874
# Mercredi, 18 février 1874
Je vais prier Dieu de me délivrer d'un grand ennui, c'est que je rougis pour le comte de Lambertye, même pour son nom, c'est honteux et désagréable. Tant qu'il me regardait seulement ce n'était rien, mais si je me mets à rougir c'est affreux ! Et sans aucune cause, rougir pour un petit laideron comme Lambertye, c'est bête.
La pauvre Solominka part aujourd'hui. Maintenant qu'elle s'en va, il me semble que je me trompais, qu'elle n'était pas bête ni insupportable, ni sotte; que c'est ma faute. Je la regrette, surtout parce que en partant et faisant ses adieux elle a pleuré... cela me fait souvenir de la dureté de Collignon qui après deux ans n'a pas versé une larme surtout elle à qui les larmes coûtaient si peu. Je suis triste toute la journée, je regrette cette pauvre bête.
Le courant d'air et Joséphine ont cassé le miroir. Cela me trouble beaucoup.
On m'appelle pour aller à cette vente au square Masséna (robe bleue et chapeau, pas mal). Je me sens très fatiguée, je me suis couchée à trois heures exactement hier. Mais les prêtres ne permettent pas la vente et la musique le premier jour du Carême et un mercredi des Cendres, aussi elle est remise. Nous nous promenons, puis maman et ma tante vont à Monaco. Je commande un chapeau chez Pigalle. Nous allons à la Promenade chercher papa, mais nous ne trouvons que Lambertye se promenant tout seul, j'ai prévenu Paul et il n'a pas fait de grimace et je n'ai pas rougi; on dit que oui, mais je ne l'ai pas senti. Nous le revîmes encore en retournant, cette fois nous étions tous les trois, moi, Dina et Paul, très sérieux; je pense même que les autres ne le virent pas, et moi à peine.
Je passe au London House avec Bête. Je ne pouvais jamais penser que je regretterai tant Solominka, même en ce moment mon cœur... bat pour elle, je ne sais pourquoi elle me paraît pitoyable.
Je suis dégoûtée de moi et de tout le monde aujourd'hui, et maman qui est si irritable qu'on ne sait que dire. C'est une ennuyeuse journée.
Plusieurs fois j'ai vu Hamilton mais, au lieu de profiter de ces moments, involontairement je secoue la tête et il disparaît. Mais que m'importe Hamilton puisqu'il est mort. Je suis sotte aujourd'hui.
Je dois déclarer une chose, c'est que mon but de sortie est en ce moment le comte de Lambertye. Le misérable but ! Pourquoi il l'est, il faut demander à tout autre que moi. Il ne me plaît pas du tout est-ce parce que il me regarde, c'est vrai que par cela il a fait que je sais qu'il existe. Et chaque fois je tâche de savoir le motif, la cause de ces regardations [sic] qui souvent m'irritent.
Que je suis folle ! Et combien d'honneur je fais à ce saligaud d'en parler une page entière.