Bashkirtseff

Mercredi, 28 janvier 1874

Orig

# Mercredi, 28 janvier 1874

J'ai marché pour la première fois depuis plusieurs jours, mais d'abord I drove out avec maman et Dina, j'ai acheté des rideaux bleus, M. Leclerc dit que la lumière bleue fait pousser les plantes. J'étais chez Auguste il viendra me coiffer demain à deux heures, alors je marche, la Promenade est toute pleine mais il est arrivé un étrange événement, les Labanoff n'y étaient pas, leur escorte non plus. Woerman seul, mais ce pauvre animal est tellement heureux de former le bout de la queue du bataclan Galve qu'il a abandonné le Bec amoureux, pour un instant. Voilà ce que je nomme (robe brune, bien) un vrai, bon et beau bataclan. La princesse Souvoroff avec sa fille en voiture à volonté, toilettes blanches avec velours bleu foncé, mêmes chapeaux. La mère et la fille habillées pareillement se ressemblent beaucoup et la mère est aussi jeune mais plus belle que la fille. La voiture est un charmant genre-duc, très bas et petit, deux chevaux gris suivaient en landau Mlle de Galve en robe rouge foncé, tout ce qu'elle met devient charmant, avec trois autres de la suite de Mme Souvoroff. Les deux ravissants enfants à pied et Mme de Galve assise presque vis-à-vis leur hôtel avec son mari et un duc italien. Audiffret (Emile d') est des leurs, pauvre petit. Woerman tâche aussi de s'y attacher, mais ce qui est curieux c'est que Lambertye n'est plus avec eux dans la rue, comme jadis.

Ce bataclan est le seul bien à Nice. J'espère qu'avec le temps j'en aurai un semblable. Avec l'aide de Dieu. Un bon et grand bataclan n'est pas un petit bonheur.

Eh mon Dieu, je ne suis pas laide, je suis bien faite, j'ai une taille fort belle, un petit pied, des cheveux dorés, j'ai de l'esprit (dire cela est une preuve que je suis bête) je parle le français, l'anglais, l'italien et le russe, j'aime à m'amuser.

Mais ma mère n'a pas de bataclan et tout cela ne sert à rien, si, cela sert à ce qu'un animal quelconque me regarde d'un air d'abord curieux, moqueur ensuite et voilà tout. Mais je prie Dieu tous les soirs et j'ose espérer qu'il entendra ma prière. J'ose espérer encore... mais non je ne suis qu'une bête. Tout de même je vais encore supplier Dieu de nous faire vivre comme j'aime. Je vais prier.