Bashkirtseff

Jeudi, 29 janvier 1874

Orig

# Jeudi, 29 janvier 1874

J'attendais avec impatience cet Auguste, enfin il vient, me maltraite les cheveux terriblement, j'ai cru que je ne les pourrais plus débrouiller, me change deux coiffures, l'une plus difforme que l'autre. Vraiment il me semble que c'est exprès. Je me coiffe moi-même, ma tête est très tourmentée, la malheureuse. A quatre heures seulement nous sortons (robe brune, les cheveux demi-pendants dorés, bien). La musique est finie, mais il y a encore quelque monde. La journée est grise mais belle et froide.

Je crois qu'il y a quelque chose de sérieux entre le Bec amoureux et le comte de Lambertye, ils sont toujours ensemble. Suis-je si risible mon Dieu ! Le Bec a eu l'air de dire à Lambertye en riant,

- La voilà, la voilà, regardez.

Cela me fâche. Nous laissons ma tante à la gare et allons chez les Filimonoff. Toute la famille est réunie, le père, la mère, les deux filles et M. Potemkine. Je parle du carnaval et je ne me tais pas; je sais par moi-même combien est désagréable et embarrassante une personne qu'on connaît à peine, qui ne parle pas. Ils sont assez agréables.

Je m'ennuie. Je ne pense pas que le duc de Hamilton vienne à Nice, ils sont au Caire. L'hiver prochain nous passons au Caire, mais il n'y aura plus de Hamilton, il y allait comme à Nice et la Collignon a dit que c'est un rejeté de la société, qu'il passait son temps avec les âniers. C'est pour cela que je l'adore. Quant à être rejeté, je l'ai dit encore alors, qu'il n'a qu'un pas à faire pour mettre toute cette société à ses pieds. Il s'amusait en bon garçon. Il avait raison. Je ne puis exprimer la tristesse infinie qui m'enveloppe à son souvenir. Surtout si je le vois, je deviens essouflée pour un instant.

Par ce stupide mariage toute ma vie est bouleversée et je suis mécontente de tout. Je n'ai plus de point d'appui d'où je pouvais considérer tout mon avenir.