Bashkirtseff

Lundi, 26 janvier 1874

Orig

# Lundi, 26 janvier 1874

Je reste jusqu'au moment de sortir, les cheveux pendants, ils sont ondulés plus que jamais, et d'or, j'en suis amoureuse.

Tout est fini, je n'ai rien à dire, je n'ai pas à quoi penser. En ouvrant le piano je l'ai vu, mais ça m'arrive rarement et comme un éclair; c'est mon plus grand bonheur, c'est-à-dire pour mon cœur.

Je monte à cheval avec Dina, mais je ne suis pas at ease, tout va mal, à la promenade, j'ai arrangé mes cheveux, d'ailleurs il n'y a personne, le soleil s'est couché, il est six heures, il fait doux, il me semble que c'est l'été. Pendant que je me coiffais Gioia est venue chez la Soubise la prendre pour aller à Monaco, elle a sa ravissante voiture. Rien ne lui manque, elle retook possession de son chic.

Mon montage à cheval n'était pas un plaisir mais un martyre. Je suis heureuse de rentrer. J'ai un nouveau chapeau d'amazone, de Paris, très bien.

Blanche Boyd se marie avec lord Henry Paget. Enfin je pensais qu'elle ne se marierait jamais, ou mal. Comme elle a de la chance.

Lambertye se fait remarquer et je pense à lui quelquefois (pas comme... non: il ne peut pas être question de cela). Je ne sais pas ce qu'il est. Il y a donc des gens, petits, laids, allant toujours à pied, ne faisant rien d'extraordinaire, qui se font remarquer comme le comte de Lambertye, je sais qu'il existe seulement parce qu'il me regarde. L'autre soir au cercle, je me

tournais pour qu'il ne me vît pas et Dina m'a dit : Voilà que Lambertye te regarde, alors je me suis tournée dans la loge pour ne pas le voir et pour qu'il ne me voie pas. Ses regards sont moqueurs et insolents. Il y a des moments où je serais capable de le frapper tant il me semble impertinent avec son sourire. Je voudrais le connaître seulement pour lui en demander raison et pour bien prêcher.