Bashkirtseff

Samedi, 24 janvier 1874

Orig

# Samedi, 24 janvier 1874

Je suis mécontente de tout. Fortuné a porté ma robe blanche à la buanderie et au lieu de la repasser seulement, on l'a lavée. Mais c'est une bêtise; sans aucun motif, je suis mal à mon aise, je voudrais rester seule. Je dis, sans aucun motif ! Folle. J'ai tant de motifs. J'adore les chevaux, je n'en ai pas. Je voudrais avoir mes chevaux pour conduire à quatre, monter, les regarder ! Et je ne le puis pas. Enfin je voudrais vivre comme j'aime, c'est le principal, après cela je pourrais avoir mes chevaux et tout au monde. Je sors malgré moi: cette heureuse fille ! la fille de la Souvoroff, se promène en conduisant deux beaux poneys. On dit qu'elle a mes goûts, et elle peut avoir ce qu'elle aime ! heureuse ! Ce qui me chagrine c'est que tout ce que j'aime est fini. Vraiment, je pleure les courses et le Tir comme un peu comme le duc de Hamilton. Je suis bien folle, mais mon cœur n'a pas encore appris la différence des sentiments. Un beau bal, des chevaux rares, le duc de Hamilton,

un Tir intéressant me sont presque également chers.

Je m'ennuie, je suis malheureuse.

J'essaye de mettre ce beau chiffon lavé, je l'arrange comme je puis. Je me coiffe comme toujours et bien, je mets au lieu de la ruche un fichu gentil, une jolie broche, assez simple mais du meilleur goût et je suis: bien. Le fait est, que sur moi tout est bien. Je sais m'habiller.

Nous allons trois, maman, Dina et moi; mais je n'ai pas dit où ! Eh bien, c'est au cercle de la Méditerranée à la fête que donne Mme Storiatine pour l'école des Beaux-Arts. Il n'y a plus de places en bas, nous prenons une loge. Tout le monde est là. Les Howard, tous sont en bas. Tout le bataclan Souvoroff exceptée sa sœur, tous les jeunes gens, même Emile Singe-le-Duc.

Le bataclan Souvoroff a des toilettes ravissantes, en fait d'hommes le comte de Saint-Sauveur, le vieux Italien Meyer et Lambertye qui [Rayé: fait horriblement la cour à] est très amoureux de la dame qui ressemble à Mme Beketoff.

J'étais gentille, je sais me conduire.

Quant à dire ce qu'on a représenté, je ne le saurais guère. Une ou deux chansonnettes stupides par une espèce de jeune domestique, deux ou trois tableaux vivants assez laids, un ou deux morceaux par l'orchestre, trois petits garçons ont joué du violon, simplement mais c'était encore le mieux. Et ensuite une espèce de vaudeville-opérette à deux personnages. Mais les voix sont si belles qu'au commencement tout le monde s'en va. Là encore je suis malheureuse, car nous sommes seules. Oh ! mon Dieu que c'est affreux !

Logé nous appelle la voiture, conduit maman. Au vestibule attendait le fin-bataclan et la Mouchy en un adorable manteau.

[Dans la marge: Serpent deceives me]

J'ai vu plusieurs connaissances, ce qui m'a un peu remis. Les Allen, Antonsky, Howard, Warrodel, etc.

Il faut que les sourires du comte de Lambertye cessent. C'est trop en vérité et je commence à m'en lasser. Il regarde et sourit. C'est tout bonnement impertinent. Il ne me prend donc pas pour une enfant.

Je pars encore plus ennuyée d'avoir vu les gens parmi lesquels je devrais être.

Oh mon Dieu quand exauceras-tu ma prière !