Jeudi, 8 janvier 1874
# Jeudi, 8 janvier 1874
Je vais chez cette détestable Monier qui n'a encore pas fini. Puis je marche avec Hitchcock, (avant de marcher je suis allée en voiture avec Machenka, Dina et Walitsky remettre ma glace, faire apporter demain des bottines), il y a trop de monde surtout au Détroit des Mouches (robe marron, bien).
Cette fameuse voiture n'est pas au comte de Lambertye, une famille hippopotameuse s'y promenait en triomphe (voilà une phrase !) et le comte se promenait avec le vieux Galve que je commence à trouver très bien. Nous rencontrons papa, c'est son jour de nom, tout le monde lui donna des cadeaux et Walitsky, une canne et il me semble avoir vu la pareille chez le duc de Hamilton. Mais comme nous descendions la Promenade, je vois oh surprise ! oh ! terreur ! une dame à cheval et sur ma selle ! Je quitte papa, arrête un fiacre qui par bonheur passait en ce moment; j'y saute, Hitchcock me suit et nous volons chez l'homme. Je savais d'avance ce qu'il me répondrait at my asking for my saddle, que tout le monde est sorti etc. etc. c'est ce qu'ils me dirent, je cours à la Promenade dans l'espoir de retrouver la dame à cheval, de la suivre et de confondre ces mécréants en leur amenant le cheval et la selle, mais à la Promenade il n'y avait plus personne. Je revoie à la maison, mets le fur mantle de ma tante et set off again for my expedition against the Ashantees.
Je commande des glaces chez Rumpelmayer et vais encore chez Monier. Les deux Ajax dînent et Georges a amené une espèce de paysan, d'horreur, de détestation dans le genre de Drillat. Je devins furieuse et si il n'y avait pas les Striker je ne serais sans doute pas descendue. Cette espèce de saleté osait me regarder avec un hideux sourire, qui indiquait que Georges lui a dit assez de moi. Oh ! saleté !
Je suis entre les Ajax. Le jeune me fait des yeux, et je le tiens, mais l'aîné a je ne sais quel air timide et réservé. Et cela m'ennuie, car je voudrais l'avoir aussi. Les Lefèvre dînent aussi. Striker junior m'a donné une leçon de boston, il m'en donnera maintenant jusqu'à ce que je sache bien toutes ces danses barbares. Après dîner nous dansautons (mot composé de danse et de sauter).
Pauvre papa était très content et ému lorsqu'on a bu à sa santé. Lorsque Paul et les Ajax allèrent dans l'atrium (comme j'appelle cette espèce de salon qui précède le salon) jouer à la roulette et j'allai essayer ma robe blanche il s'est endormi près de la cheminée, pauvre vieillard. De l'autre côté Stiopa s'endormit chez ma tante et les deux dont c'était la fête ronflaient. Cette robe est complètement gâtée. Je mis par-dessus mon duster gris et j'allai rejoindre les joueurs.
La table était très animée, et je me serais amusée but for that paysan.
On descend prendre le thé et on remonte encore jouer, mais nous étions seuls enfants, les autres cette fois restent en bas, surtout Walitsky qui fait rire, et c'était vaseux. Le jeune Striker est amoureux de moi, voilà mon deuxième amoureux et troisième si je compte Stephan Raffalovitch.
- 1 - Rémy Moreno de Gonzalès
- 2 - Stephan Raffalovitch
- 3 - J. Striker.
Seulement trois et j'ai déjà presque quinze ans ! Quelle pauvresse !
Pour en revenir à moi proprement dit, je suis gaie quelquefois mais indifférente toujours. Je sors pour sortir, je n'ai aucun intérêt dans rien. Je croyais que ça passerait mais je m'aperçois que ma comparaison est parfaite; je suis comme un verre d'eau mêlé avec quelques gouttes d'encre. Si l'encre ne se mêlait pas on pourrait la jeter mais elle s'est mêlée et ne forme qu'un seul tout avec l'eau. C'est exactement comme moi, je ne puis pas chasser ce chagrin car il est entré dans mon âme et s'est combiné chimiquement avec toute ma personne. (Mme Howard et les enfants étaient ce matin chez nous). Sur cela je cesse la description de cette comparativement fertile en événements, journée.
En voyant ma robe blanche saccagée j'écrivis à l'instant même à Monier de me renvoyer la robe bleue, Joséphine l'a rapportée à dix heures du soir.
Miserere !