Samedi, 3 janvier 1874
# Samedi, 3 janvier 1874
La porte se referme avec fracas, et les voilà parties ! Miserere !
On a eu à peine le temps de finir les toilettes; aussitôt après dîner moi, Bête et Paul allons chez Monier et y restons de sept à neuf heures jusqu'à la fin des robes. Aucune de ces chiffonneries ne me plaisent, Dina surtout avec sa tarlatane blanche, commune.
C'est une grande soirée musicale chez M. et Mme Howard. La robe de ma tante est jolie mais le corsage est de travers, de sorte qu'on pensera qu'elle est mal aidée. Miserere ! Diadia assistait au départ et s'en alla lui-même quelques minutes plus tard, avec Bête.
J'ai monté à cheval, seule avec l'homme, sur Rob Roy. J'ai passé toute la Promenade à slow canter, je me tenais très bien, le cheval est joli et je suis contente.
Mlle de Galve était à cheval aussi, avec son père, elle est bien à cheval. J'allai par l'avenue de la Gare, puis route Saint-Pons où j'ai changé de cheval, je pris Kitty, puis dans une des ruelles du quai Saint-Jean-Baptiste j'ai encore repris Rob Roy que je sais faire trotter. Encore une fois toute la promenade, montant trot, descendant slow canter. C'est si bien ce slow canter un peu plus vite qu'un bon pas, le cheval saute gracieusement et on est collé sur la selle. Tout le monde me regardait. Hier j'ai vu près du London House lord Falkner et les nôtres ont vu lady Falkner à Monaco. Enfin le bataclan que j'aime se rassemble. Nice est un très charmant endroit pour y venir passer deux mois, comme à la campagne, pour se délasser des bruits d'une capitale, sortir le matin, monter à cheval, aller à Monaco, aux courses, au Tir, à la Réserve, au London House; au Var et à Saint-André une fois et s'en aller content de Nice, et content de retourner à Paris. Comme cela j'aimerais beaucoup Nice, y venir pour faire ce qu'on veut, avec un bataclan à part. Mais y rester comme nous, Miserere !!!
Le duc de Hamilton est déjà affiché au casino de Monte-Carlo parmi les commissaires du Tir. Bientôt on le verra en personne, et sa femme aussi sans doute. Je suis curieuse de la voir, je ne puis me l'imaginer, elle ne doit être ni blonde, ni brune, ni châtain, ni rousse, ni grise. Elle est un être à part. Mais nous verrons.
Chez nous on en parle quelquefois, mais peu. Vers le soir je suis de mauvaise humeur, que je ne manifeste pas.
Hier j'ai expliqué à maman que je veux un autre traitement, car lorsque je lui ai offert mes conseils pour sa toilette elle me répondit brusquement et de cette manière qui m'agace tant. Je dis que je fais honneur et plaisir en offrant d'aller chez Monier, et que je veux être traitée autrement. Elle me pria d'aller mais j'ai refusé. Ce soir je ne pouvais ne pas arranger la jupe et on me parla de la même manière impertinente et agaçante. Je me suis dit cent fois que je ne toucherai plus à rien, mais aussi je ne puis pas voir quelque chose de mal fait, de travers, je dois arranger, quelle que soit ma colère. Il faut cependant que je me retienne et qu'elle aille comme elle veut, qu'elle soit monstrueusement et drôlement mise, je ne m'en mêle plus.
Miserere !
Je m'étais défendue de penser à lui en m'endormant, c'était une espèce de divination comme j'en fais toujours, mais j'ai oublié et j'y ai pensé, depuis ce moment, je pense toujours à lui en m'endormant et j'aime de nouveau mon lit.