Bashkirtseff

Lundi, 29 décembre 1873

OrigCZ

# Lundi, 29 décembre 1873

Je n'avais pas envie d'aller à Monaco, mais n'ayant rien préparé pour Hitchcock je m'en vais (robe brune et chapeau brun, bien). Je l'ai arrangé assez bien et je commence à m'y habituer. Maman, ma tante, Dina, Paul et moi, il y a beaucoup de monde à la gare. Ce que j'aime le mieux dans ces excursions c'est le temps qui se passe à la gare. Lewin n'a pas tiré cette année, jusqu'à présent. Lambertye est un petit être très sympathique, mais assez ridicule lorsqu'il tire. Nous entrons comme de raison dans les salles, mais bientôt nous partons pour le Tir, Dina, Paul et moi. Nous n'aurons personne avec nous. Sans descendre tout de suite nous spend some time sur les différentes platforms et enfin stationnons assez longtemps sur le dernier degré, au niveau du luncheon room et enfin nous sommes en bas, Paul apporte des chaises et nous nous installons tout à fait à mon aise. Je ne suis pas raide comme avant, et je suis au Tir presque comme je l'aime. Je voudrais tant que mon animal de frère tire. Il est mieux, car Petit ne le reçoit plus, Avigdor la menaçait de ne plus lui faire des robes. Il est dans les Américaines, c'est encore ce qu'il y a de mieux, à la rigueur.

Saint-Clair, Galve, Lambertye et encore deux que je ne connais pas tiraient très bien. Il n'y avait pas une dame, excepté deux, mais à gauche au loin. Peu de tireurs, mais plus que la dernière fois. Vers la fin Galve et Lambertye restèrent seuls et devaient continuer jusqu'à ce que l'un d'eux manquerait; Lambertye a manqué un coup et Galve a gagné le prix; une très jolie cuvette d'argent où se baignent deux pigeons, très joli. Comme la comtesse de Galve est heureuse d'avoir un mari bon au moins à gagner des prix.

Alors nous remontons, nous en forme de triumvirat. En haut la tante nous rencontre toute pâle et dit qu'un monsieur vient de se tirer un coup de pistolet, dans la salle. Nous courons dans la salle, le monde est en mouvement, on sort, on entre, on court, on parle à haute voix, on voit dans toutes les salles des groupes par quatre, cinq, six et plus, parlant et gesticulant; pour passer il fallait pousser comme dans une église. Il se tua sur le canapé à l'extrémité de la salle turque, il y avait encore du sang, et l'eau qu'on a versé sur lui. On l'emporta immédiatement à l'hôtel de Paris, car il n'était pas mort, et après avoir tiré il a dit: Ah ! comme j'ai mal tiré. - paroles qu'il répétait lorsqu'on le portait à l'hôtel.

On ne sait pas sa nationalité, on dit que c'est un Anglais mais ce n'est pas sûr, car on aime à honorer de ce titre tous les fous. Tout le monde est dans la consternation, le perron est inondé de monde, on se demande; ceux qui ne se connaissent pas se parlent et tout le monde semble se connaître. On me proposait de rester, mais j'ai préféré dîner à la maison au lieu de la table d'hôte. Voilà deux choses que je ne ferai plus. J'éviterai beaucoup de voyager autrement qu'en coupé, et bien dans un compartiment où il n'y aurait personne, je n'irai jamais en omnibus jusqu'au casino, mais à pied ou en voiture, et je ne dînerai plus à la table d'hôte.

Nous descendons mais un monsieur dit que c'est trop tard car le train s'approche et vraiment nous serions en retard si j'allais avec maman qui lanternait. Alors je dis à Paul de venir avec moi et nous descendons au galop (j'ai fait la supposition que si j'arrive à temps, j'aurai ce que j'aime, ce n'est pas le duc mais en général).

Un Russe Ermolaïeff, que maman nomme Averianoff part par le même train, il nous trouve des places. C'est un marchand, qui ne parle que le russe, simple mais pas dégoûtant, sans aucune éducation. Il nous proposait d'aller à Florence par mer.

Dans le compartiment il y a trois Anglais poussière, une vieille, nous et un vieux. J'ai expliqué le Tir à Averianoff et j'ai parlé si vite et sans me reposer.

Le landau nous attendait, Paul va prendre je ne sais pas quoi au London House, du saumon je crois.