Bashkirtseff

Dimanche, 14 décembre 1873

OrigCZ

# Dimanche, 14 décembre 1873

Hier matin maman en lisant "La Vie mondaine" a lu que : le duc de Hamilton épouse etc. etc. Solominka leva les yeux sur moi.

Puis quelques commentaires de Dina, maman etc. sur la vente de son écurie.

Ce matin je reste auprès de maman, on apporte les journaux, "Le sciagurate Galignani". Je lis l'article suivant :

MARRIAGE OF THE DUKE OF HAMILTON

The marriage of the Duke of Hamilton and Brandon, Premier Peer of Scotland, with Lady Mary Montagu, eldest daughter of the Duke of Manchester, was celebrated on Wednesday at the parish church of Kimbolton.

The building was beautifully decorated, and a large company were present.

At 25 minutes past 11 the bridegroom, who had walked from the castle, entered the church, accompanied by his groomsman, Baron de Tuyll, Prince Edward of Saxe-Weimar, Viscount Mandeville, Prince Louis Esterházy, the Duke of Beaufort, the Earl of Sandwich, the Earl of Gosford, Lord Ossulston, the Hon. G. Fitzwilliam,

the Hon. A. Bourke, Colonel Steele, Mr. Chaplin, Mr. Calcraft, and Sir Seymour Blanc. The bridegroom and his best man took their place by the altar, and waited the arrival of the bride.

The gentlemen ranged themselves along the south side of the chancel, the Duke of Manchester's pew on the north side being occupied by the Princess Monaco, Princess Edward of Saxe-Weimar, the Countess of Sandwich, the Hon. Mrs. George Fitzwilliam, the Duchess of Beaufort, Mlle. Eyrich, etc.

Shortly after the Duchess of Manchester and the Duchess of Hamilton arrived, and took up their positions on the north of the altar. Immediately after half-past 11 a carriage and four brought to the gates of the churchyard the Duke of Manchester and the bride, who proceeded through a large crowd of spectators along the carpeted path to the Young, vicar of Tilbrook. After the ceremony was completed, the attesting party entered the vestry and witnessed the registration, the signatories being the Duke of Manchester, the Duchess of Manchester, the Duchess of Hamilton, Prince Edward of Saxe-Weimar, etc.

On the completion of this formal duty, the Duke of Hamilton conducted his bride down the aisle and along the churchyard path to the gate, where they entered a carriage, and were conveyed to the Castle, the town, which consists mainly of one street, being by this time densely crowded.

The wedding breakfast was given in the large marquee in which the ball was given on the previous night. The principal toast was, of course, "The Health of the Bride and Bridegroom," which was very briefly responded to by the Duke of Hamilton.

About a quarter-past 2 the bride and bridegroom left the Castle in a carriage and four, and proceeded to the Kimbolton station, a distance of three miles or thereabouts, amid the hearty good wishes of all. At the Kimbolton station of the Midland Railway they entered a saloon carriage attached to a special train, which proceeded to Wickenbrook, where they arrived about half-past 4, and they were received by a guard of honour consisting of the local volunteer corps.

The "Honbl" bridegroom and his bride proceeded thence to Easton Park to spend their honeymoon, and will proceed to the Suffolk estate, where they received from the local tenantry a truly hearty welcome.

[En travers: Il faut voir ma figure quand je lis cet article, j'ai envie de pleurer, j'ai l'air féroce. Miserere !]

Je plie le journal et je le cache dans ma commode. Nous allons à l'église à pied (robe brune, bien). A peine retournées il arrive beaucoup de monde: les Fedoroff, les Anitchkoff, M. Woerman, le baron de Bach, et encore quelques chiens domestiques. Je sors avec Paul pour quelques minutes. J'aime sortir en deux, ne pas avoir la voiture pleine comme un tonneau de harengs. Diadia est aussi chez nous. Je vais chez moi et tout le monde monte au salon. Je vois cet article, comme il me semble froid. La cérémonie du mariage elle-même ressemble à un enterrement, pas dans ce cas-là, mais en général. Si on pouvait s'en passer, car c'est comme de l'eau froide qu'on jette sur du feu. Il me semble que tout de suite après le mariage l'amour doit prendre une autre forme et s'affaiblir passablement. J'ai remarqué souvent qu'on s'amuse bien plus sans préparatifs. Moi-même je l'ai éprouvé quelquefois on commençait à danser et lorsque j'allais changer de robe je ne m'amusais plus, et j'étais refroidie. Mais puisque cette pill est nécessaire. Je ne puis pas du tout m'imaginer ce qu'il pourrait dire, ce qu'il lui dit. Il me semble invraisemblable en mari. Je crois à la mort de Mme Savelieff parce que je l'ai vu morte, mais je ne puis croire à celle d'Abramovitch, il me semble qu'il n'est pas mort, qu'il doit revenir. A propos des morts, j'ai cassé ma glace, Dina la sienne, et hier le nez me démangeait. Je tâche de ne pas croire aux superstitions. Il me semble que ça n'est pas chrétien, je doute et je ne demanderai à personne, pas même à des prêtres, car tous les hommes sont rien que des hommes, chacun doit donc croire et comprendre d'après soi, car il n'y a que Dieu et soi-même pour la religion. Nous sommes toutes les trois, maman, ma tante et moi descendues au jardin en attendant la voiture, mais Mme Howard vient et notre voiture deux minutes après, les grands, maman, ma tante, Mme Howard et Walitsky se placent dans la nôtre et nous, moi, Hélène, Dina et Lise dans la leur. Et malheureux que nous sommes ! Nous nous promenons pendant une heure et demie rien que sur la promenade, mais heureusement nous étions occupées à parler l'une à l'autre et étions très calmement mises et ombrelles déployées, de sorte que nous n'avions pas trop l'air dimanche et promenade. Quant à moi je n'ai vu presque personne, car je prenais soin de parler, je déteste les gens qui se montrent. Nous passions pour la dixième fois la villa Wittgenstein et je dis à Dina

- Regarde c'est ouvert.

Hélène : - Qui ?

Moi: - Je ne sais pas, c'est une jolie villa, alors j'ai...

- Ah ! sais-tu, me dit-elle, tout à coup, que le duc de Hamilton est marié ?

- Oui. Depuis un de ces jours je crois, avec lady Mary Montagu.

- Qui te l'a dit ?

- Dans les journaux, comme je plains sa femme !

(Je commence à rougir) puis me voyant rouge,

- Pourquoi es-tu si rouge ?

- Moi, rouge ?

- Oui, tu as rougi.

- Tu es folle.

- Mais non, comme tu es rouge.

- Peut-être, cela m'arrive quelquefois, mais pourquoi plains-tu la femme du duc de Hamilton ?

- Parce que c'est affreux d'avoir un pareil mari, si laid et toujours ivre, et puis, enfin il est si mauvais.

Lise: - Quel est ce duc de Hamilton ? Celui qui était ici.

Moi: - Tu l'as vu ?

- Oui.

Hélène: - Tu le connais ?

- Non.

- N'est-ce pas qu'il est laid.

- Oh oui ! affreux.

Lise: - Le duc de Hamilton est très beau.

- Comment petite, tu le trouves beau ? Entends-tu Hélène ?

Lise: - Je ne l'ai jamais vu. Ah ! comment il est ?

- Je vais te dire, gros comme cette voiture, rouge comme de la viande crue, les cheveux roux, de tout petits yeux gris, presque fermés et toujours ivre.

- Eh bien merci !

Hélène pendant que je faisais cette peinture du duc de Hamilton et Brandon, le racontait aussi, en même temps, disait qu'il ressemble à un de ces (selon nous [au duc de] Hesse) puis à leur boucher enfin, je soupçonne qu'elle aussi avait des vues, autrement qu'est-ce qui la ferait suivre dans les journaux, savoir tout comme moi. Il n'y a pas longtemps elle m'a dit que toute la famille est scandaleuse, puis cette description, et comme elle plaint sa femme... enfin j'ai de graves soupçons. Je voudrais la sonder un de ces jours, je tâcherai. Arrivées chez eux, elles nous montrent leurs nouvelles robes, qui sont très ordinaires pour ne pas dire laides, mais j'ai highly admired them, parce qu'elles-mêmes en sont enchantées. Croyez donc aux compliments, à tout ce qu'on dit !

Il arrive un autre désagrément. Les Howard vont jouer une comédie avec les Boutowsky. Pourquoi pas avec nous ? Cette amitié indoors commence à me lasser. Ils ne nous ont pas encore invités, s'ils n'invitent pas sans doute je n'irai plus jamais chez eux. Je suis très vexée et il faut que je leur demande, pas à eux, mais que maman le dise à la vieille.

Je voudrais bien savoir ce qu'ils se disent, car être seuls, surtout le premier temps doit être très embarrassant. Est-ce vrai que c'est bien le même duc de Hamilton qui soit marié ? Je ne puis pas encore me forcer à le croire, surtout lorsque je me rappelle de lui en voiture... Je ne sais pourquoi il me semble que durant la cérémonie et après surtout il avait l'air glacé et sentait son âme oppressée, voulait plus vite s'en aller. Ses bottes devaient être couvertes de poussière, il avait chaud... Mais suis-je bête ! C'est l'hiver, le mois de décembre, en Angleterre, c'est l'hiver. Oh comme ils doivent s'ennuyer ! Où plutôt ne savoir que faire. Très délicate position en vérité.

Papa est très malade, c'est-à-dire il fait des extravagances terriblement, il parle de testament, pourvu qu'il le fasse, car [Rayé: autrement] d'habitude ce ne sont que des paroles. Je suis fâchée de raisonner, mais s'il meurt subitement, ce que je ne désire pas du tout, maman et ma tante n'auront rien, étant mariées. Que Dieu l'aide à arranger ses affaires et qu'Il prolonge sa vie.