Bashkirtseff

Mercredi, 26, jeudi 27 novembre 1873

OrigCZ

# Mercredi, 26, jeudi 27 novembre 1873

Je fais le journal pour deux jours ensemble, commençons par mercredi. Rien de remarquable; Woerman est venu, sa première visite ici. Je dois dire que j'eus l'honneur de voir mon illustre père. Nous descendîmes de voiture avec maman et au milieu du détroit des Mouches (comme j'appelle, où sont tous ces stupides assis à la promenade) nous voyons le Papa, il se lève et dit bonjour, tout simplement en tendant la main, à maman, puis à moi, il commence:

- Il faut être plus simple, c'est ce que l'on apprend toujours (je dois encore dire qu'il a observé à Paul que c'est inconvenant pour une demoiselle d'étudier autant que moi, qu'il ne reste qu'à couper les cheveux et devenir une nihiliste. Quel barbare ! Quel sauvage ! On doit être ignorant pour être convenable. C'est bon, cela.)

- Je suis toujours simple.

Ensuite quelques phrases communes. Ensuite maman parla du temps. Puis on parla de moi. Il paraît que mon illustre parent me trouve froide et impertinente même. Voyez-vous cette brute. Il se souvient, dit-il à Paul, qu'il y a deux ans lorsque nous nous mettions en voiture je me suis placée à côté de maman et ne lui ai pas cédé la place. Cet hippopotame sauvage ! Il prie maman de venir à l'hôtel, mais maman refuse et je dis :

- Si vous voulez parler un peu vous pouvez venir chez maman, mais maman n'ira pas à l'hôtel. Vous devez venir chez elle et Nina chez vous. Si maman était seule, je viendrai toujours, mais...

- Ce sont des prétextes futiles.

Enfin nous en vînmes à d'assez forts mots, il dit:

- Quel que soit le père que je sois, criminel, gredin, tout de même il faut...

- Je ne peux pas juger mon père quel qu'il soit.

- Eh bien si on [le] traite comme les étrangers alors il faut de la bienséance.

- Je ne traite pas les étrangers autrement que toutes mes connaissances et très décemment.

Et sur ce ton. La voiture vient, je vais y monter:

- Eh bien maman asseyons-nous, moi je n'ai pas le temps.

Lui: - Oui, vous n'avez jamais le temps. Marie Stepanovna, restez. Vous partirez après.

Pour ma rage elle reste, se conduit comme une bête. Je ne comprends pas cette femme, elle est toute animée et ne se conduit pas du tout avec dignité, elle devrait s'en aller avec nous. C'est embêtant de voir des gens sans tact !

Ils vont tous à Monaco, mon Pater aussi, maman lui prend mille francs et les perd sur place, bien fait ! Tout le monde était étonné de voir maman prenant sans compter de l'argent chez un homme.

Le lendemain - aujourd'hui jeudi - elle a un grand mal de tête et ne se lève pas toute la journée. Mon adorable papa est parti, il a donné quelque argent à Paul et pria maman de me remettre cinq cents francs mais elle a sagement refusé et j'en suis ravie. Je suis fière, je ne prendrai pas de l'argent de cet animal misérable, feuille desséchée et écrasée, non un insecte jaune écrasé. Quel détestable homme, il alla avec ce garçon perdu Paul, chez des actrices et lui parla de tout ce qu'il devait pas dire, enfin a agi comme un étranger et un lâche avec ça. Pauvre Khalkionoff est très malade, il est très indigné et se leva du lit oubliant sa douleur et commença à crier que c'est lâche, affreux d'intoxiquer un garçon, un fils; lorsque Paul entre chez lui un peu gris après le déjeuner avec son père. Un très bon garçon ce Khalkionoff un peu paysan mais très honnête et noble nature.

- Jeudi, nous allons chercher les Howard mais nous les rencontrons en chemin, nous prenons Lise puis ensuite, déposant Hitchcock, Hélène. Nous entrons pour quelques minutes chez nous (robe bleue et chapeau, bien) Mme Howard aussi. Un vent terrible, soleil et poussière. J'ai conçu depuis peu une détestation du soleil, je ne suis heureuse qu'en une grise journée. %% 2025-12-07T12:26:00 LAN: CODE-SWITCH ENGLISH: "five of them" "Bother!" - English phrases, "Bother" is mild exclamation of annoyance %% Ce soir nous allons chez les Howard, ils vont lancer un ballon et un feu d'artifice, il n'y aura que des garçons, five of them et des grands de quatorze à dix-sept ans. Bother ! J'aime mieux les hommes.

Je mets après de mûres réflexions ma vieille robe bleue cachemire, sans le col marin, mais un col demi ouvert de dentelle, manchettes semblables, une broche ravissante assortie, en turquoises et diamants (à ma tante). Le gros bracelet et voilà tout. Coiffure modeste. Bien. Je me trouve bien, toujours en proportion. Dina, Paul et Hitchcock viennent aussi. On n'attendait que nous. D'abord les garçons sont présentés en grande cérémonie. Tous courent au jardin et on essaye de lancer le ballon, le vent est fort, on y renonce et commencent les feux d'artifice. Nous restons tous sur le croquet-lawn. Les garçons dirigent, mais ensuite on imagine de nous poursuivre avec des feux dévorants qu'on lance, tous courent, crient, rient ! M. Howard lui-même infuria à un tel point qu'il court, nous poursuit, fait cent bêtises comme un gamin. Il est très gentil vraiment. Il y eut pour quelques moments, des cris, des rires, des va-et-vient. Nous descendons en courant le hill pour fuir les feux, enfin le plaisir est interrompu par un personnage inattendu: la pluie. Je suis toute échevelée et rose, par le vent. Nous sommes au salon bleu, on prend le café. Je commence là à parler avec ces garçons et nous parlons certes de l'accident de mon cheval. Ce sont les fils du monsieur qui m'a tenu le cheval, les amis des Boutowsky, les Barter. Je trouve que les garçons sont cent fois plus amusants que les filles. Nous parlions anglais. On passe au grand salon et on danse. Je ne voulais pas d'abord, mais... enfin j'ai dansé comme une folle sans cesser tout le temps, je quittais un, un autre me prenait et ainsi de suite. Enfin lorsque je voulais respirer un moment mon frère m'enlevait. J'ai tant fait que ma bottine craqua majestueusement. Il y avait là Mr, Mrs Allen, très bien, antipolvere, et leur fils mais je ne sais pas si je l'ai vu. Les grands se tenaient près de la cheminée et nous dansions. J'ai dansé par inspiration, car je ne me souviens plus de ce que j'ai appris. J'étais jolie et ne perdais pas beaucoup devant Hélène. Sa beauté ne me sourit plus autant. Le père Barter vient chercher ses fils et il raconte au salon devant tous que je n'étais pas tombée mais que le cheval tomba et moi au contraire j'ai sauté très adroitement et vivement. Enfin la Vérité !!! Oh ! la Vérité !

La Vérité !!!!!!!!!!!

Je viens vers lui et je le remercie pour avoir tenu ou relevé mon cheval; c'est alors qu'il a raconté - La Vérité. Nous invitons tous les Howard et tous ces garçons chez nous jeudi prochain à deux heures jouer au croquet-cricket, dîner - le feu d'artifice et danser. Tous ces (je remercie Dieu d'avoir permis que je sois pas laide) gamins tendent la main. En vérité c'est très amusant les garçons, que doivent donc être les hommes !!

Lizzie, ma chère un de ces gamins vous fait la cour. Que vous êtes bêtes tous deux.

Je me suis amusée. Paul met son chapeau comme le duc et dans l'obscurité ses cheveux sont de la même forme, et ce chapeau et lorsqu'il incline la tête, le derrière de la tête est comme le duc.

En revenant je raconte à maman ce que nous avons fait. Elle me trouve jolie, (le bleu me va) et me demande:

- Qui épouseras-tu ?

- Je ne sais pas maman. Woerman ne vaut rien.

- Je vous crois, de l'ordure j'aime quelque chose de substantial et non un animal qu'on peut écraser.

- Ainsi qui ?

- Je ne sais pas.

- Gritsia Miloradovitch, il est grand.

- Ah, n'en parle pas, je n'aime pas ces gens-là. Ces Russes ne me plaisent pas.

[En travers: A quatorze ans on me parlait d'hommes et de mariage !! ]

Maman veut faire valoir ce Miloradovitch de toutes les façons, l'autre jour Soukhotine a dit qu'il ne verse pas le champagne dans le verre [Rayé: mais boit de la bouteille] mais simplement débouche avec les dents et d'un coup vide la bouteille.

J'oublie, hier soir Solominka, Dina et moi, dans ma chambre, nous avons chanté des opéras, nous nous sommes jetées par terre et autres folies amusantes. (Si elle savait que je parle de lui ici elle serait contente). Maman m'a raconté cela. Je trouve que c'est gentil mais ce n'est pas cela que j'aime. J'aime le duc de Hamilton, je n'aime que lui, et je n'ai jamais (tu n'avais pas le temps, ma fille !) aimé d'autres. Il est adorable, rien n'est plus beau que lui, même lorsqu'il se grise et que sa raison s'enfuit. %% 2025-12-07T12:27:00 LAN: MARIE'S VOICE: "il seme les pieces...il joue comme s'il semait" - poetic image of Hamilton scattering money like a sower, showing careless aristocratic wealth %% Je l'adore surtout lorsqu'il sème les pièces à la roulette (il joue comme s'il semait).

Je le vis jouer une fois et je le vois comme vivant.