Vendredi, 21 novembre 1873
# Vendredi, 21 novembre 1873 Carnet N° 13
Mon misérable journal
commencé le vendredi 21 novembre 1873 terminé le mardi 9 décembre 1873 appartenant
à Moi, une bête de quatorze ans.
Rue du Temple, villa Baquis, Nice
La veille de son mariage est terminé ce wretched livre ! Après son mariage une ère nouvelle commence pour moi.
# Vendredi, 21 novembre 1873
Hier ayant fini d'écrire je vais chez maman pour savoir au juste si on a acheté cette villa, mais on me rassure, heureusement maman n'a rien acheté, pour mon bonheur. Nous restons jusqu'à minuit ensemble, moi, Georges, Walitsky et Dina et ma tante [Rayé: à parler] et je parle encore de notre vie.
A deux heures déjà diadia comme nous appelons le comte de Toulouse-Lautrec, diadia donc à deux heures vient, et on m'appelle, il sont prêts à monter en voiture, je cours vite (robe brune, chapeau noir, pas mal). Nous, ma tante, papa, diadia et moi, allons visiter des hôtels pour diadia. Il est difficile comme moi pour les appartements. A trois heures ils vont tous à Monaco, diadia, maman, ma tante, Walitsky et le petit Merano. Je descends pour un moment à la gare, maman me donne la clef de l'armoire et vingt francs.
Nous sortons avec Bête et Hitchcock, Dina est allée avec Solominka à pied. (A déjeuner on a apporté les robes de Worth, adorables, divines !). Je pense à commander une robe pour ma propria persona. En vérité je n'ai rien à mettre pour un simple dîner comme hier ou pour aller au théâtre. J'ai ces deux robes de promenade et la robe blanche de l'année dernière, et voilà tout. Et on ose dire que j'ai beaucoup de robes ! La vérité où-ce que tu es ?!
J'ai quatorze ans, et voilà à quelles conclusions je suis arrivée. - Tout le monde est bon tant qu'on est ami sans être intime, - l'amitié comme je l'entends n'existe pas. - La vérité non plus. - L'argent c'est tout. - Vivre c'est aimer, aimer c'est vivre.
Ne divaguons pas ma fille ! Tu sors et puis... et puis je vais au port chercher ma saddle qui is come since yesterday. Je vais à la douane, des hommes me font passer dans plusieurs chambres, enfin je vois ma chérie selle, je la prends avec moi, on la met avec la caisse sur le siège. Nous faisons un tour à la promenade et je rentre à quatre heures mais je ne commence le piano qu'à quatre heures et demie, j'ai perdu une demi-heure à admirer ma selle.
[Dans la marge: S veut dire Solominka ou Mme Markevitch]
S. et Terme viennent, restent cinq minutes et s'en vont. Pour le dîner maman et diadia reviennent. Maman a gagné sept cents francs. Ils ont manqué le train alors ils prennent une voiture et courent comme des fous jusqu'à Monaco où le train venait justement de s'arrêter. Ils ont presque renversé la voiture qui les conduisait ventre à terre. Je commence à m'habituer à diadia.
J'ai pour ainsi dire oublié celui qui m'a fait tant salir du papier. Mais j'aime trop pour oublier cet animal. Il était mon premier et m'a fait tant de mal (sur la chanson de Fortunio).
On m'apporte deux tasses de thé que je vide dans ma chambre.
Walitsky a composé des mémoires quasi-de Paul et Paul les a copiés dans son carnet qu'il a laissé exprès chez Solominka, dans ses mémoires il se dit à soi-même comme il est amoureux d'elle, que Petit n'est plus rien etc. Eh bien cette bête de Solominka a pris cela au sérieux et regarde Paul avec une tendre indulgence. Faut-il être bête !
(Filles de marbre). Je ne sais quelle mouche me pique. Ni pourquoi je n'en sais rien, tant de rêves magnifiques me poursuivent soir et matin. Je veux penser à autre chose. [Rayé: Et il vient là se poster] (Fortunio) Mais pas du tout.
Dès que mes paupières sont closes
Je le vois partout.
Je pense que c'est de la folie car autrement.
Je pense que ça se passera car autrement Toute mon existence ne sera qu'un long tourment.