Bashkirtseff

Jeudi, 20 novembre 1873

OrigCZ

# Jeudi, 20 novembre 1873

Georges est revenue d'Aix, triomphe complet. On m'apprend tout d'un coup que hier en retournant de Monaco ils rencontrèrent le comte de Toulouse-Lautrec et il viendra avec son petit-fils, le fils de Séraphine, qui vient d'hériter une fortune de quatorze millions et du titre de marquis. Le bienheureux petit, un garçon de douze ans. Lautrec vient en effet, et une scène de famille. Il s'étonne comme je suis grande etc. etc. etc. Ensuite vient Termosiris nous amenant un monsieur russe dont j'oublie le nom. Puis vient M. Azarevitch de manière que je restais tout le temps au salon. Enfin nous sortons moi et Dina et nous conduisons le comte jusqu'à l'hôtel Paradis. Puis nous revenons encore prendre la princesse. A la promenade, mais la musique est finie lorsque nous arrivons, néanmoins il y a du monde et beaucoup. Depuis quelque temps personne ne me regarde, j'en conclus que je ne suis plus ridicule comme avant.

Nous n'allâmes pas avec Plantus, je suis indisposée.

Que Nice est misérable ! Les deux Anglais se promènent. La dame a inauguré ses toilettes par un velours cerise et lui rappelle le duc, une si charmante figure. Sa femme est élégante mais elle a le cachet anglais, les Anglaises ont un je ne sais pas quoi d'ancien même lorsqu'elles sont habillées à la mode.

Je ne puis sans envie voir une femme grande. Je voudrais tant être très grande ! C'est si bien d'être très grande ! Mme Clockman passa, elle est si grande, si bien faite, je la regarde avec envie puis je me regarde ensuite et comme je suis misérable ! petite ! ah !

J'ai un contempt pour toutes les femmes en général. Chacune d'elles sort, s'habille, arrange chaque cheveu, tire tout ce qu'elle a de mieux à mettre, entremêle des fleurs, accommode des rubans, attache des nœuds, et finalement fait une figure et sort avec l'intention de percer le cœur à tous les passants. Je ne parle pas sans doute de femmes qui sont élégantes de nature, il y en a quelques-unes que je nomme propres comme Souvoroff, un peu la Galve, duchesse de Mouchy et encore quelques unes. Mais celles d'ici ! ces malheureuses Espagnoles qui ont l'air de s'étaler toutes entières, leurs chapeaux, tout, tout. Et quant aux Américaines je n'en parle pas. Voilà des contemptible creatures ! Il est temps de rentrer car Hélène et Lise viennent à cinq heures, en effet elles viennent. Paul a aussi invité Arson, il est dit-on spirite, et pour nous prouver il propose de deviner ce que chacun pense. (Après trente-six essais devant les Howard je mis la même robe brune que j'avais). Il invoquait les esprits et écrivait ce que les esprits disent. J'ai prié de deviner ce que je pense et j'ai pensé au duc. Il écrit: Elle pense à ses amours. Est-il bête ! Comme c'est bête de dire des pareilles choses. On est forcé de croire vraiment à des nonsenses semblables, je ne veux plus le demander et penser à des choses impermises. Mais il fallait raccommoder cette folie et au moment où j'ai lu : Mais comme c'est juste ! Est-il possible ! Comme c'est extraordinaire ! Tout le temps j'ai pensé aux chevaux. Vraiment je serai obligée de croire au spiritisme, et je vais raconter cela dans mon innocence à tous. Les autres aussi ont demandé quelques questions auxquelles il a assez bien répondu.

Le dîner est servi. Vers la fin duquel arrive le comte avec le petit marquis, ce bienheureux rat. Puis Paul nous donne un feu d'artifice, durant lequel moi, Lise et Hélène, comme ces frileuses ne peuvent pas sortir sur le balcon, dans ma chambre auprès d'une fenêtre fermée. Le feu d'artifice était charmant. Paul et Arson le dirigeaient. J'ai dit à ces deux enfants de regarder comme Arson posera, car j'ai dit par la fenêtre à Paul que nous sommes là et que tout doit se passer devant nous. En effet à chaque feu de Bengale Arson posait, tirait sa moustache et faisait toutes sortes de manières. Il se brûla même la main en lançant une chandelle romaine avec grâce. C'est très désagréable que les Howard soient si jolies ou plutôt que je sois si laide. A neuf heures elles s'en vont et moi après avoir restée cinq minutes au salon je vais me coucher plus que jamais pensant à lui.

Je crois (oh malheur extrême, comble de disgrâce !) que maman a réellement acheté cette villa ! Pourquoi mon Dieu je suis tellement malheureuse et disappointed de tous les côtés ! %% 2025-12-07T11:55:00 LAN: CODE-SWITCH ENGLISH: "Nice is a worthless place" - damning English judgment %% Nice est encore supportable, mais à la promenade des Anglais, ailleurs c'est la mort. Cette année est une année terrible. Combien de larmes avalées m'a causé cette Buffa et Baquis. Depuis que nous sommes ici je me sens disgraciée, comme en exil. Mon Dieu ne permettez pas que cela soit vrai ! Nous ne pouvons donc pas continuer à vivre comme à présent ! Mais c'est affreux ! Est-ce que jamais, jamais nous ne vivrons comme je désirerais. A Nice c'est impossible et Nice is a worthless place.

Non mon Dieu délivre-moi de cette nouvelle disgrâce. Ne m'envoie pas cette autre punition. Je pleure à cette seule idée. Ayez pitié de moi.

Mais je pleure à l'idée que nous pouvons continuer notre genre de vie !!!!..

[Dans la marge: Ci-joint mes premiers et mes derniers vers.]

[Douze lignes cancellées mais déchiffrables:

Tes cheveux je les respire Tes baisers je les bois Tes beaux yeux que je désire Tiens ! tu es faite pour moi. Les cieux bleus sans nuage Les zéphyrs dans les prés Le fleuve près du rivage Calme limpide et clair Et vert et doux et frais Ne sont rien ! Ne sont rien auprès de ton visage.]

[Annotation: Avril 1875. Oui, notre genre de vie, toujours la même chose depuis le premier moment à Nice.

Mon Dieu, je dis comme alors, mon Dieu est-ce que Tu n'auras pas pitié de moi et ne me feras pas vivre comme j'aime ??]