Bashkirtseff

Mercredi, 19 novembre 1873

OrigCZ

# Mercredi, 19 novembre 1873

Nous allons voir les toilettes chez Kingsbury, elles ne me plaisent pas; ça sent la Compagnie Lyonnaise et cela a un accent anglais, le tout parfumé par le Bon Marché, il fait frais, gris, bon; je suis fraîche aussi et jolie (robe brune, chapeau noir bien). Nous laissons maman et ma tante à la gare et allons avec Dina chercher des roses pour ces Français que maman et ma tante reconduisent jusqu'à Monaco. Nous venons avec les fleurs lorsque le train est presque parti. Il faut demander la permission au chef de gare pour passer. Je cours demander (c'est un vieux que nous connaissons depuis la guerre), je voulais lui dire un mot pour passer plus vite mais comme toujours j'en ai dit vingt, et si vite que lui et moi riions lorsque je volais vers le wagon. Les fleurs rendues, nous allons chercher Hitchcock et Bête, nous allons encore chez Howard demander l'heure et l'endroit où nous nous rencontrons demain pour une promenade avec Plantus. Je ne trouve que Aggie qui practised. Je lui dis ce qu'il faut, la fait tourner plusieurs fois en l'air et nous repartons encore. En chemin nous rencontrons Mme Howard, elle nous dit ce qu'il faut. Hélène et Lise sont avec elle. Hélène est jolie, c'est surtout son teint qui la rend belle.

Nous avons passé un quart de promenade avec Dina en deux et nous rencontrâmes les Mouchy qui me reconnurent et se tournèrent tous deux avec des faces si aimables. Je me détournais pour ne pas rire. Je suis sûre qu'ils sont charmants, ils logent dans notre ruelle, villa Flori. Je vais commander des glaces pour le dîner d'aujourd'hui. Je commence à adorer les cerises parce que ses jockeys sont en cerise.

La dame à la jaquette et son mari arrivèrent aujourd'hui, je les vis à la gare. Le mari ressemble à Hamilton mais il a l'air écrasé par sa femme qui a l'air rigid et une expression de ★sainte-nitouche. Mais cet homme est un parfait Hamilton dans quinze ans. Hamilton sera aussi écrasé par sa femme. Cette horde, cet aréopage de Bade qui tous rampent vers Londres pour assister à la cérémonie par laquelle le duc de Hamilton deviendra un homme de bien (pour deux ans). C'est-à-dire que j'en suis furieuse. M'enlever ainsi ce que j'avais de plus... basta. C'est ridicule de moi ! Suis-je folle.........

Maman et ma tante sont jalouses d'Hélène pour moi, et tâchent de se persuader que je suis aussi jolie qu'elle (c'est comme moi). J'ai si bien lu cela dans leurs yeux et même en voiture, ma tante me regardant dit:

- Vous seriez jolie si vos manières et votre impétuosité....

Ce fut comme une espèce de continuation de sa pensée.

Que faire ? Si je pouvais je me serais bien vite rendue belle, adorable, la plus belle au monde. J'ai ma voix, je crois que je l'ai cassée. Oh ! mon Dieu garde-là ! Ne la laisse pas périr. C'est ma fortune, mon bonheur, ma beauté. Une belle voix c'est tout. Je ne suis pas mal et avec une voix jolie même. Pardonne à mon ambition ! Agrandis, embellis, et préserve ma voix. Oh mon Dieu !

[Dans la marge: Les Sabatier arrivés. ]

Je me trouve si jolie ce soir que je ne puis m'arracher du miroir; pourquoi ne suis-je pas toujours ainsi ! Vraiment je suis en ce moment aussi jolie qu'Hélène. Ma face ne brûle pas mais je suis rose, fraîche.