Lundi, 17 novembre 1873
# Lundi, 17 novembre 1873
Dans le "Galignani" encore des horreurs. Le duc de Hamilton se marie le 10 ou 11 du mois prochain, la duchesse et la princesse de Monaco se rendent à Londres pour assister au mariage. Je suis encore toute meurtrie, je ne puis pas m'habituer à cette idée.
J'ai considéré encore que comme nom et position le duc de Hamilton est une perte irréparable. Et je crois pas que je rencontrerai un autre aussi complet et qui me plaise. Car la douleur de perdre Hamilton est énorme, mais le duc de... est aussi beaucoup. Il réunissait toutes les qualités et en surplus je l'aimais. On n'a pas ce qu'on veut dans ce monde. Tout de même je suis très très malheureuse, extrêmement; je le voulais tant, tant et voilà tous mes châteaux en Espagne qui s'écroulent. J'écris froidement car je suis occupée de ma chute de cheval, mais en lisant le journal je tremblais, je devins hébétée, la face timide et la voix basse. Depuis le premier jour de mon malheur, aujourd'hui est le plus affreux. Jamais je n'ai senti davantage sa perte.
Il ne faut pas croire que je ne pense qu'à aimer, pas du tout. Je pense encore plus au nom, à l'argent et au luxe. %% 2025-12-07T11:41:00 LAN: "comme il faut" - REGISTER: as it should be, proper - key 19th-c. phrase indicating social propriety %% L'amour pauvre ne dure pas longtemps, jusqu'au... (non, je suis trop jeune pour dire de pareilles choses) mais l'amour riche est quelquefois durable et sinon, le refroidissement est plus chaud, non, plus noble, plus délicat, plus comme il faut. J'ai expliqué déjà ce qui arriverait si j'osais aimer un homme pauvre et d'un nom ordinaire. Comme je perds une perfection rare, faite pour moi, c'est-à-dire que si on pouvait commander un mari à sa guise je n'aurais pu commander rien d'autre, je deviendrais froide et j'épouserais le premier homme riche et d'une bonne famille. Pour longtemps personne ne me plaira, c'est-à-dire que Hamilton sera toujours mon idole, mais en cachette même devant moi. J'aimerai sans doute mon mari, mais si je revois encore le duc j'aurai à chanter un Miserere avec variations. Puisqu'on ne veut pas que je sois heureuse tout à fait je ne me ferai plus scrupule, je prendrai celui qui me conviendra le mieux, et puis... et puis "je n'ose pas". Non ! l'horreur. Dieu ne me punis pas pour ces atroces pensées ! Et pardonnez mes fourberies ! Je m'amuserai, mais je serai honnête toute ma vie. Malgré ma folie je suis une créature bonne et honnête et je mourrais si j'avais une seule tache sur moi, comme l'hermine. Tout ce que j'écrirai ne dira jamais ce que je sens. Je suis bête, folle, offensée superbement, il me semble qu'on me vole en me prenant le duc de Hamilton; j'étais si sûre, trop sûre hélas ! Et j'en suis punie. Mais vraiment c'est comme si on me prenait mon bien, qui est à moi, qu'on m'arrache, qu'on me vole.
Je m'en vais de la salle à manger aussitôt arrivée sous prétexte de je ne sais quel plat. J'ai presque pleuré, je vais dans ma chambre; là seule je suis mieux; j'enrage contre tous, je veux crier au moindre bruit, à chaque mot qu'on m'adresse je voudrais répondre par des impertinences. Quel état déplorable ! Je ne sais pas comment m'exprimer, tout me semble trop faible, car pour les moindres choses j'emploie les expressions les plus fortes et lorsque je voudrais parler sérieusement je me trouve à sec. C'est comme... non, assez, si je commence à tirer des conclusions, des exemples et des ressemblances je n'en finirai pas. Les idées se poussent les unes les autres, se confondent et finissent par s'évaporer. Mais ce qui est curieux c'est que je suis tombée du cheval. J'avais commandé le cheval gris Kitty mais je ne sais par quel hasard on le donna à Hélène et j'eus celui de Paul un danseur, mais j'ai pris celui du professeur, qui allait pas mal mais pas de trot, Dina vient aussi, l'homme la tient en laisse c'est ignoble, elle si misérable à cheval, elle a peur, ouf !
Vis-à-vis le N° 57 je ne sais comment mon cheval tombe et je me vois à terre, en un moment je saute et me voilà sur le trottoir saine et sauve, pendant ce temps un Anglais, le père des trois Bémis, Barter je crois prend le cheval et me demande si je ne me suis pas fait mal.
- Non, du tout, Monsieur, merci, lui répondis-je gaiement.
Pauvre Dina est presque morte d'effroi. Quant à moi je remonte tranquillement le cheval qui bleeds et nous allons ainsi jusqu'à la villa Howard. Je m'étonne seulement comment j'ai pu ne pas tomber, avec une selle de dame, l'amazone et tous ces embarras ! Je ne comprends pas comme je suis unhurt. Si, je comprends, je le dois à Dieu ! C'est Lui qui m'a sauvée.
C'est très agréable de s'abaisser avec le cheval car il s'est mis à genoux des quatre pieds, et j'ai immédiatement descendu de cheval.
Maintenant je sais ce que c'est que de tomber de cheval, mais si joliment, que je ne me suis pas même salie. D'ailleurs je ne suis pas tombée. Je dis le tout à maman près de la villa Howard car heureusement elle n'a pas vu.
Je suis en même temps très fâchée de cet accident à cause des Howard. Bien que je ne tienne pas du tout à monter avec elles, mais tout de même c'est très désagréable. Comme Hélène finit sa promenade, je prends Kitty pour retourner et en bon trot commode je rentre. Nous ressortons ensuite parler et gronder le maître d'écurie. Je deviens maigre et pâle, je suis à chaque moment rongée en dedans. Je ne puis pas l'éviter. Je suis brisée.