Samedi, 15 novembre 1873
# Samedi, 15 novembre 1873
Maman, ma tante, Bête, Dina et Walitsky vont à Monte-Carlo dîner chez des Français que maman avait connus à Bade, et avec lesquels nous avons déjeuné au château des Jésuites. Je vais avec Hitchcock (robe brune, chapeau noir, bien) les jupons sont amidonnés et en général tout me semble stiff aujourd'hui. Nous allons à la promenade, il y a du monde, beaucoup même. %% 2025-12-07T11:36:00 LAN: MARIE'S VOICE: "marrons ou nefles" - chestnuts or medlars, her fruit/nut hierarchy for worthless people %% Mais rien que des marrons ou des nèfles. %% 2025-12-07T11:35:00 LAN: MARIE'S VOICE: "ce gros animal, cet elephant" - her animal nicknames for Hamilton oscillate between mockery and affection %% Jamais il me semble je n'étais plus misérable qu'aujourd'hui. Je ne pense qu'à ce gros animal, cet éléphant, il est constamment devant mes yeux et dans ma tête. Je ne sais pas dissimuler ou plutôt je n'ai pas besoin de dissimuler et j'ai une figure mécontente et capricieuse. En vain nous attendons la voiture, elle ne vient pas; j'ai des professeurs de quatre à six heures et cette voiture qui n'arrive pas, il est trois heures et demie. Une journée détestable, tiède, demi-sombre, calme.
Tout est agaçant et tout aide à me rendre malheureuse, enfin la voiture vient, j'y monte mécontente; il y a Solominka et papa, lui aussi m'agace avec son Renard. Un demi-tour à la promenade, une commission en ville et nous rentrons, moi et Hitchcock. Je me traîne jusqu'à ma chambre et vais droit au miroir, voir quelle grimace je fais lorsque je suis si triste. J'ai trouvé une face blanche délicatement rose et calme, rien de plus.
J'ai ma première leçon avec M. Leclerc, chimiste.
Le temps tiède me rappelle tout ce qu'il y a de plus douloureux, je voudrais me coucher quelque part loin, loin et m'oublier. Nous marchions avec Hitchcock du côté des maisons à la promenade comme l'hiver dernier une fois avec maman, le ciel était gris comme alors, il a plu la veille comme alors, les voitures étaient les mêmes qu'alors et il me semblait qu'il allait passer en sa petite carriole à un cheval à clochettes, comme alors... puis tout, tout, me repassa dans la tête, tout ce qui se passa depuis que je vis. Je me rappelai de toutes les fois que je l'avais vu, de son frère Carlo; voilà un charmant garçon, plus charmant aussi parce qu'il est le frère de l'autre bipède, du Tir, de tout enfin où il était, où on parlait de lui. Je crois que j'ai la fièvre; je suis très bavarde toujours, surtout lorsque je suis chagrinée et que je pleure intérieurement. Personne ne s'en douterait, je chante, je ris, je bavarde, je plaisante, et plus je suis malheureuse, plus je suis gaie. Aujourd'hui je ne suis pas capable de remuer la langue, je n'ai presque rien mangé le matin et à dîner rien du tout. Tout me semble mauvais, dégoûtant. Il y a donc des jours malheureux ! Toute cette nuit j'ai rêvé de la villa Gioia; on la remeublait, puis comme si nous demeurions là avant et qu'elle l'arrange pour elle. Toute la maison était couverte d'écorces de bois comme Poustynka, il y avait une galerie dont on tapissait les murs avec des paillassons, il y avait des armoires à livres. Je demande à la femme de chambre pour qui est cette chambre, et elle me répondit que c'est pour lord Hamilton qui va revenir. Un des livres dans l'armoire était par Hamilton, sa composition, sur quoi pouvait-il écrire pensais-je, sur des chevaux ? Dans la chambre voisine était tout le monde et ma tante me reprocha d'avoir parlé haut de Hamilton, j'étais en chemise, nous passions par des rivelets près des prairies pleines d'eau, je me mouillais les pieds et m'assis près d'une fontaine comme celle de l'exposition de Vienne entre les galeries et le Kunsthalle. enveloppée dans un drap. Puis dans la chambre de Gioia, il y avait trois lits qu'on removed des lits ordinaires comme le mien à Acqua Viva. Il y avait une corbeille pleine de fruits, j'ai mangé des prunes et du raisin mais ayant jeté par terre les pépins I began carefully à ramasser, for fear that she in walking shall see that somebody has been in the house. Puis dans cette galerie à paillassons je vois venir un homme, c'est Hamilton je suis toute émue, mais il vient plus près et je vois un homme monstrueusement gros et grand et une autre figure que celle de Hamilton. Un étrange rêve, je [ne] sais pas le raconter, mais il était très extraordinaire.
Je souffre tant ce soir. Brunet me chagrine toujours en disant que Paul ne fait rien, qu'il est bête, incapable, dissipé. Sans doute dans des termes plus polis. Que Paul manque souvent le lycée, sans aucune raison. Lemp m'a dit ce matin que chez lui aussi il manque.
Mon Dieu, mon Dieu que c'est affreux d'entendre des choses pareilles ! Paul est un mauvais garçon et il ne deviendra jamais rien de bon. Je ne me fâche pas contre lui; mais je le vois, à quoi bon dissimuler devant soi-même. La vérité nue doit seule exister. Jamais il ne deviendra quelque chose, je le dis le cœur gonflé, mais je le dis et malheureusement je ne me trompe pas, j'ai unfortunately raison. Il y a des moments où je tâche de me consoler mais ce ne sont que des moments. Je trouverai peut-être ce que je dis de Paul maintenant, injuste, faux, méchant, lorsqu'il sera gentil et qu'il semblera pour une minute bien.
Mais froidement considéré, il est un garçon vain, vide, ignorant et j'ai peur bête, non plutôt distrait et dissipé.
En ce moment même j'hésite de dire mes cruelles vérités et je doute, je me reproche d'être aussi méchante, d'accuser mon frère, d'être dure, mais hélas c'est la vérité. C'est une vérité que je veux nier en l'écrivant et que je nie l'ayant écrite pour laquelle je me dispute avec moi-même.
Mon Dieu sauvez-le ce pauvre Paul.