Bashkirtseff

Vendredi, 7 novembre 1873

OrigCZ

# Vendredi, 7 novembre 1873

[Deux lignes rayées: Projets de Russie, Paris, Bade, regrets du duc en voiture.]

J'ai monté à cheval avec Paul à quatre heures et demie, c'est un peu trop tard, mais il ne fait pas si chaud, je ne pouvais pas au commencement bien trotter, vers la fin seulement j'ai succeeded. Il y avait des bataclans. Dady and Brady aussi. Mais le malheureux Paul singe Khalkionoff et monte très mal. Au beau milieu de la promenade nous voyons arriver une cavalcade, les Arson et Mme Audiffret. Ils galopent, nous trottons, mais au moment où nous sommes tout près mon cheval se cabre, saute et se met à galoper. La cavalcade pousse des cris perçants.

En un instant Arson s'arrête "pour secourir" mais tout se passe très bien et nous continuons tranquillement.

Ce soir j'ai fait et dit tant de bêtises surtout à Miss Hitchcock que j'en suis toute fatiguée. J'ai joué le serin disant que c'est l'hymme russe et ainsi de suite.

Pitou devient très méchant, et maman me disait de ne pas m'en approcher:

- Il t'enlèvera le bout du nez.

- Je le pendrai.

- Ce sera trop tard.

- Alors je pendrai tout le monde, vous tous.

- Ce sera trop tard tout de même.

- Eh bien je me pendrai moi-même.

Alors la princesse dit:

- You know what you will better do, hang yourself on the neck of the Duke of Hamilton.

- You have always something stupid to say.

Ces gens-là m'embêtent. Walitsky aussi m'ennuie. Hier je disais que Bade sans la roulette est aussi charmant qu'avec, que l'été dernier c'était charmant, qu'il y avait beaucoup de monde.

- Oui, dit Walitsky, Hamilton se promenait avec un cochon.

- Ce n'est pas vrai, ce sont des bêtises.

- Non en vérité, dit maman et ensuite ma tante:

- Pas le duc, mais Carlo etc. etc.

J'ai rougi beaucoup. Ils ne savent pas comme ils me vexent par leurs plaisanteries déplacées et cependant j'avale avec avidité tout ce qu'on dit de lui, et mon plus grand bonheur est d'en entendre parler. Ce matin encore au breakfast (not lunch) papa se mit à raconter l'histoire de Renard à Hitchcock, j'entre pour entendre son nom prononcer et ses paroles répétées et je suis attrapée car papa a dit devant Hitchcock lorsque j'étais dans la chambre "maîtresse" et nomme Gioia. Papa est vraiment bête de ne pas comprendre qu'il y a des choses qu'on ne dit pas devant les enfants, surtout lorsqu'il y a des étrangers.

Voilà mon plan favori, chéri et désiré, aller en mars en Russie finir ces affaires qui m'empoisonnent, retourner en automne à l'étranger, à Paris, s'y installer comme il faut, au printemps en Angleterre et l'été à Baden que je chéris, où j'étais heureuse. Si Dieu voulait permettre que cela arriva ! Je le prierai, je tâcherai de mériter ce bonheur, je ne serai pas méchante. Lorsqu'on parle de Bade, je me mords les lèvres pour ne pas pleurer de dépit, je ne puis me pardonner de n'y être pas allée ces deux derniers étés. Et lorsqu'on me rappelle le jour où je voulais (retournant de Paris) rester un jour à Bade, je sens tout ce qu'il y a de plus étouffant me monter à la gorge, je rougis et je pleure. Alors je pleurais deux heures, et jamais je ne l'oublierais; ce souvenir triste me restera et me tourmente en ce moment. Bête eut l'audace de dire que je suis mieux que les Howard.

Hélène et Lise ont des costumes russes, nous pensons qu'ils donneront un bal costumé. Je me préoccupe du costume, je voudrais être mieux que je n'étais hier à côté d'elles. Je voudrais être bien.

Pitou avant-hier déchira les chapeaux de Solominka, elle déménagea chez Mme Daniloff, nous croyons que c'était craqué, mais pas du tout. Elle a dîné hier chez nous et déjeuner aujourd'hui et n'est pas plus gentille.

Les amis de loin sont de vrais amis.

Mon cher père vient à Nice. Animal !